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la revue de paris

se partageaient en compagnies et veillaient le jour et la nuit. Les habits de pénitence étaient changés en casaques militaires. Des habits couverts d’or et d’argent cachaient des haires et des cilices ; et tout cet équipage de guerre était pour des soldats qui ne cessaient pas d’être des pénitents. Les vieux capitaines, MM. de Ponlis, de la Petitière, d’Éragny, de Bessi, reprenaient une allure martiale et un ton de commandement, et l’on riait de voir un M. Le Maistre, « l’épée au côté et le mousquet sur l’épaule, devenir l’effroi des soldats, lui qui n’avait accoutumé que d’être la terreur du Palais, et dont la langue avait toujours été plus redoutable que le bras ».

M. de Saci, qui était la douceur même, s’affligeait secrètement quand il voyait les Messieurs se faire un jeu de ces revues et exercices dont il avait horreur. Il ne reconnaissait plus son cher Port-Royal dans ce lieu retentissant du bruit des tambours et du cliquetis des armes. Aussi, quand on s’avisa de lui proposer ce cas de conscience : a Si on ne pouvait tirer tout de bon sur les coureurs et pillards qui s’approcheraient des portes pour les enfoncer », le prêtre pacifique et prudent répondit que, si la loi naturelle ordonnait peut-être de repousser la force par la force, ce n’était que la « loi naturelle des bêtes », et que toute la défense que l’Évangile permettait était la fuite et la retraite.

« Il dit plusieurs choses semblables, — rapporte Fontaine, — qui firent rentrer les Solitaires en eux-mêmes, pour éviter un péril auquel ils étaient déjà si exposés, et pour se faire une espèce de morale militaire qui leur était propre, ne portant que des armes innocentes et ne connaissant plus d’autres ennemis à tuer que les péchés. »

Ces souvenirs, encore tout récents, donnaient au duc de Luynes une autorité particulière, et il avait ses petites et grandes entrées chez les Messieurs. Il y portait quelquefois le trouble, par des nouvelles qui n’étaient pas précisément « de l’autre monde » touchant les sciences humaines et la philosophie, et les opinions de M. Descartes sur le système du monde et l’automatisme des animaux. Pendant les heures de loisir, M. Arnauld et ses amis, errant dans le jardin des Granges ; ou dans les bois des Mollerets, s’entretenaient de ces doctrines. « Il n’y avait guère de Solitaire qui ne parlât