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LA REVUE DE PARIS

Un mot sur le caractère de ces lettres, qui voient le jour pour la première fois[1]. Il ne faut pas croire qu’elles fassent tort à la mémoire de Sainte-Beuve ; elles lui font grand honneur, au contraire. Et nous ne parlons pas de celles qui ne sont que descriptions animées ou causeries spirituelles : nous parlons de celles qui sont éloquentes, c’est-à-dire de celles qui sont passionnées. Deux ou trois surtout peuvent compter parmi les plus émouvants cris d’amour et de douleur qu’ait jetés une pauvre âme humaine. Si celui qui a écrit ces lettres s’en était tenu là, s’il n’avait pas compromis d’avance par de méchants vers, — méchants aux deux sens du mot, — la profonde impression de cette prose, enflammée ; s’il n’avait ainsi gâté vilainement la plus noble page de son œuvre et de sa vie, on n’eût entendu de lui que ces « immortels sanglots » et, pures de toute tache, ces lettres, réunies à celles de Victor Hugo, fussent restées comme un des plus beaux et des plus poignants parmi les « romans vécus » les plus célèbres.

I

LE JEUNE MÉNAGE

Avant d’arriver aux lettres qui vont illuminer tout ce drame intime, peut-être serait-il bon de montrer ceux qui vont les écrire ou les recevoir. On ne les lira judicieusement que si l’on voit bien dans quelles conditions et dans quel état d’âme Victor Hugo, sa jeune femme et Sainte-Beuve se rencontrèrent, eux paisiblement heureux, lui fébrilement inquiet.

On connaît les adorables Lettres à la Fiancée : on sait comme, à dix-sept ans, Victor Hugo, cœur aussi précoce que son génie, devint amoureux d’une fillette de son âge ; on se rappelle ce que fut cet amour à la fois ardent et pur, on admire avec quel courage et quelle persévérance ce jeune homme, cet enfant presque, lutta pendant trois années contre toutes les résistances et finit par triompher de tous les obstacles. Le 12 octobre 1822, il épousait la bien-aimée.

Les jeunes mariés n’étaient pas bien riches ; la pension royale de mille francs pour lui, une petite dot de trois ou quatre cents francs, avec quelques meubles et effets, pour elle. Il fallut habiter d’abord chez le père d’Adèle mais, au bout de quelques mois, Victor put

  1. Nous les publions telles quelles, intactes, après les avoir collationnées avec M. Jules Troubet.