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Page:Revue de Paris - 1905 - tome 1.djvu/14

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LA REVUE DE PARIS

sa vie privée, lui prête. Les aventures qu’il suppose et ses escapades à Brienne et à Paris non seulement sont controuvées, mais le régime intérieur des deux maisons les rendait impossibles[1]. À Brienne, un élève ne pouvait sortir de la maison sans être accompagné d’un des moines. On ne le confiait, en dehors de la maison, qu’à ses parents quand ils venaient le voir et, sous aucun prétexte, il ne pouvait découcher. À Paris, c’était encore pire : on ne voyait ses parents qu’à la salle de visite, en présence d’un officier. Toutes les lettres étaient ouvertes par un officier et lues avant que d’être remises : il en était de même de celles que les jeunes gens écrivaient, en sorte que, pour en sortir, il aurait fallu escalader des murs de dix pieds de haut ou forcer trois ou quatre factionnaires ; un élève ne pouvait découcher sans la permission du ministre. Enfin, la rigueur sur cet article était telle, que le jeune marquis de Seran, depuis aide de camp du duc d’Enghien, s’étant cassé la cuisse, et le chirurgien-major Gart, de l’École militaire, la lui ayant si mal remise qu’on fut obligé de la lui casser une seconde fois, il fallut une permission du ministre pour que la marquise de Seran pût emmener son fils chez elle et l’y faire traiter.

Quoi que ce soit un enfantillage, je me suis toujours rappelé une anecdote qui servira à prouver la supériorité avec laquelle Bonaparte nous traitait à Brienne. Nous étions environ cent élèves ; ils étaient partagés en quatre pelotons, ayant chacun trois élèves pour les commander, un treizième commandait le tout. J’étais un de ces treize et Bonaparte aussi ; Bourrienne était notre commandant en chef. Nous avions une petite bibliothèque dans un appartement particulier : elle appartenait aux élèves. Le bibliothécaire était nommé par les treize chefs ; il avait le soin d’inscrire le nom de ceux qui prenaient des livres, de constater l’état du volume quand il le prêtait et de faire payer les dégâts, quand il y en avait. L’amende était fixée : tant pour un angle écorné, tant pour un feuillet arraché, tant pour une tache, tant pour un ouvrage perdu ou dépareillé ; ses arrêts étaient sans appel : il

  1. De Castres fait, sans doute, allusion aux livres d’un inconnu qui se faisait appeler le baron de B. ou le comte de Ch. d’Og. (Mémoires sur la vie de Bonaparte et l’Écolier de Brienne.)