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LE COUVRE-FEU
ou
L’HISTOIRE D’UNE FEMME RAISONNABLE


« La comtesse demeura éperdue du hasard qu’elle avait couru. »
Madame de La Fayette. — La comtesse de Tende.


I


Assise près de la fenêtre, la comtesse de Lianges écartait d’une main nonchalante les lourds rideaux de damas cramoisi pour contempler le soleil qui peu à peu s’éteignait dans la mer. Comme de grands oiseaux farouches, les ombres de la nuit descendaient lentement des collines. Tout se taisait. Des pêcheurs, tirant leurs barques sur le rivage, les attachaient à des pieux, et rentraient dans leurs cabanes, la nasse à la main, le filet vide sur l’épaule. Çà et là des feux s’allumaient.

Ariane de Lianges demeura bientôt plongée dans une obscurité profonde, mais elle était si songeuse, ce soir-là, qu’elle ne s’aperçut pas aussitôt de sa solitude parmi les ténèbres. Au reste, elle n’était pas tout à fait seule : des pensées confuses et bonnes, qu’elle comprenait à peine, mais qu’elle aimait, se pressaient autour d’elle, comme sœurs et amies. Quand elle sortit enfin de ses rêves, elle dénoua les embrasses des rideaux, et tira légèrement la torsade d’une sonnette. Un vieux serviteur parut, portant des flambeaux, qu’il disposa sur les tables et les consoles ; ensuite il s’avança vers madame de Lianges, un plateau de vermeil guilloché à la main.