Page:Revue de Paris - 1906 - tome 4.djvu/436

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’est que, aux yeux mêmes de la masse, longtemps inconsciente des réalités qui déterminent le présent et l’avenir du pays, les événements récents ont fait apparaître les conséquences que, violente ou pacifique, une séparation d’avec la Russie entraînerait inévitablement. Ce serait d’abord la ruine économique.

Avec le concours de l’épargne française, — et c’est encore un détail à prendre en considération, — une industrie considérable s’est constituée, depuis un quart de siècle, dans cette portion du bassin de la Vistule qui relève de la domination russe. Elle est prospère ; elle l’était du moins avant les derniers événements. Elle peut reprendre son essor ; mais elle restera tributaire des débouchés qu’elle a conquis sur le marché russe et que la qualité de sa production lui interdit de recouvrer ailleurs. Or, la séparation déterminerait certainement la perte de ces marchés, où la concurrence polonaise éveille déjà d’assez vives jalousies. Reportée à l’est, la nouvelle ligne de défense russe serait aussi une barrière douanière, et, prévue par les séparatistes russes, cette conséquence est, de leur propre aveu, un des motifs qui les inspirent. Les capitaux français engagés dans les entreprises polonaises sont évalués à 600 millions de francs. Quoique sensible, la perte en peut être supportée par la France ; mais la Pologne serait condamnée à la misère.

Au point de vue politique, son sort ne deviendrait pas plus enviable. Le rôle de tampon ne sourit guère aux Polonais, et on peut les en excuser. Entre l’enclume et le marteau : on ne saurait guère en imaginer de moins confortable. D’après l’opinion générale, l’évacuation russe, volontaire ou forcée, serait suivie à bref délai d’une occupation allemande. Or, à tort ou à raison, c’est ce que les sujets polonais du Tsar redoutent communément le plus. S’il faut absolument qu’ils soient mangés, ils témoignent d’une préférence décidée pour la sauce russe.

Dans l’intérêt commun, la recherche d’une solution amicale s’impose donc, et, ratifié par l’adhésion unanime de l’opinion polonaise, comme par celle de la majorité apparente en Russie, le vote des deux congrès de Moscou a indiqué le parti qui semble acceptable pour les parties intéressées.


* * *