Page:Revue de Paris - 1907 - tome 6.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


CHEZ

LES HEUREUX DU MONDE[1]

I


Selden s’arrêta surpris. Dans la bousculade de l’après-midi, à la Grande Station Centrale, ses yeux venaient de rencontrer le visage reposant de miss Lily Bart.

C’était un lundi, au début de septembre : le jeune avocat retournait à sa besogne après une rapide fugue à la campagne ; mais que pouvait faire miss Bart en ville, à cette époque de l’année ? Si elle avait eu l’air de prendre un train, il aurait pu en déduire qu’il l’avait surprise à son passage entre deux des maisons de campagne qui se disputaient sa présence après la fin de la saison de Newport ; mais son apparence indécise le rendait perplexe. Elle se tenait en dehors de la foule, qu’elle laissait s’écouler vers le quai ou vers la rue, avec une mine irrésolue qui — Selden le soupçonnait — pouvait masquer un projet très défini. Tout de suite il lui vint à l’esprit qu’elle attendait quelqu’un ; pourtant il ne se rendait pas bien compte pourquoi cette idée l’avait saisi. Il n’y avait rien de changé en Lily Bart ; mais quoi ! il ne la revoyait jamais sans un petit sursaut d’intérêt : elle avait le don de toujours susciter la

  1. All rights of translation reserved.
    L’original a paru sous ce titre : The House of Mirth (la Maison de Liesse), — allusion à cette parole de l’Ecclésiaste : « The heart of the wise is in the house of mourning ; but the heart of fools is in the house of mirth. — Le cœur du sage est dans la maison de deuil ; mais le cœur des insensés est dans la maison de liesse. »