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qu’elle venait de prendre le thé chez Selden ! Il suffisait d’énoncer le fait pour le rendre inoffensif. Mais, après s’être laissé surprendre en flagrant délit de mensonge, il était doublement maladroit de rembarrer le témoin de sa déroute.

Si elle avait eu la présence d’esprit d’autoriser Rosedale à la conduire à la gare, elle eut sans doute par cette concession acheté son silence. Il tenait de sa race l’art d’apprécier exactement les valeurs, et le fait d’être vu arpentant le quai bondé, à cette heure de l’après-midi, en compagnie de miss Lily Bart lui représentait, pour parler sa langue, de l’argent comptant. Il n’ignorait naturellement pas que des invités de marque étaient attendus à Bellomont, et la possibilité de passer pour un des hôtes de Mrs. Trenor faisait sans aucun doute partie de ses calculs. M. Rosedale, dans son ascension mondaine, n’avait pas encore dépassé le point où il importe de produire des effets de ce genre.

Le pire était que Lily savait tout cela. Elle savait combien il aurait été facile de le désarmer sur place, et combien cela pouvait devenir difficile par la suite. M. Simon Rosedale était un homme qui faisait métier de tout connaître sur chacun ; sa manière, à lui, de témoigner qu’il était chez lui dans le monde consistait à étaler une indiscrète familiarité avec les habitudes de ceux qu’il désirait faire passer pour ses intimes. Lily était certaine qu’en moins de vingt-quatre heures l’histoire de sa visite à la couturière du Benedick circulerait parmi les relations de M. Rosedale. Malheureusement, elle l’avait toujours ou remis à sa place ou traité en quantité négligeable. À sa première apparition, — lorsque l’imprévoyant cousin de Lily, Jack Stepney, lui avait obtenu (en retour de services trop aisés à deviner) une carte d’invitation pour une de ces immenses « tueries » où les Van Osburgh conviaient toute leur liste, — Rosedale, avec le mélange de sensibilité artistique et de sagacité professionnelle qui caractérise sa race, avait aussitôt gravité autour de miss Bart. Elle comprenait ses motifs, car sa propre conduite était réglée par des calculs aussi subtils. Le dressage et l’expérience lui avaient enseigné à se montrer hospitalière aux nouveaux venus : ceux qui s’annonçaient le plus mal pouvaient devenir utiles, un jour ; sinon, il y avait toujours assez d’oubliettes où les engloutir. Mais une répugnance