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— Mais c’est qu’il semble taillé pour ce rôle : je ne m’étonne pas qu’elle préfère une compagnie plus gaie.

— Oh ! George n’est pas aussi funèbre que vous pourriez le croire. Si Bertha ne le tourmentait pas, il serait tout différent… Ou si elle le laissait tranquille et libre d’arranger sa vie à sa guise… Mais elle n’ose pas lui lâcher la bride sur le cou, à cause de l’argent, de sorte que, quand lui n’est pas jaloux, elle fait semblant de l’être.

Miss Bart continua d’écrire en silence, et son hôtesse se rassit, poursuivant le cours de ses pensées : elle en fronçait le sourcil.

— Savez-vous quoi ? s’écria-t-elle après un long silence. Je crois que je vais appeler Lawrence au téléphone et lui dire tout bonnement qu’il faut qu’il vienne.

— Oh ! ne faites pas cela ! — dit Lily, rougissant brusquement.

Cette rougeur la surprit presque autant que son hôtesse. Mrs. Trenor ne remarquait pas, d’habitude, les changements de physionomie ; elle regarda pourtant Lily d’un œil intrigué.

— Mon dieu, Lily, que vous êtes belle !… Mais pourquoi ? vous déplaît-il tant que cela ?

— Pas du tout, il me plaît. Mais, si vous êtes poussée par l’intention bénévole de me protéger contre Bertha… je ne crois pas avoir besoin de votre protection.

Mrs. Trenor se mit debout, avec une exclamation :

— Lily !… Percy ?… Voulez-vous dire que c’est positivement fait ?

Miss Bart sourit :

— Je veux simplement dire que monsieur Gryce et moi sommes en train de devenir très bons amis.

— Hum !… je vois !… (Mrs. Trenor fixa sur elle un œil ravi.) On dit, vous savez, qu’il a huit cent mille dollars de rentes… et il ne dépense rien, sauf pour quelques sales vieux bouquins. Et sa mère a une maladie de cœur et lui laissera encore bien davantage… Oh ! Lily, allez doucement, je vous en prie ! — l’adjura cette amie parfaite.

Miss Bart continua de sourire, sans avoir l’air contrariée.

— Par exemple, — remarqua-t-elle, — je ne m’empresserai pas d’aller lui dire qu’il a un lot de sales vieux bouquins.