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LA REVUE DE PARIS

généralement fidèles au Makhzen et n’opposaient pas trop de résistance lorsqu’il s’agissait de payer les impôts. Pourtant, là comme dans les autres régions réputées soumises, les Sultans ont dû organiser à diverses reprises des expéditions pour faire rendre gorge aux caïds et les obliger à verser les sommes perçues dont ils étaient détenteurs. Les choses se passaient ainsi depuis un temps immémorial, lorsqu’il y a quelques années, le souverain actuel, poussé par les conseils d’un entourage utopiste et mal informé, décida de supprimer les anciennes contributions coraniques l’achour (dîme des récoltes) et le zekkat (dîme du bétail), perçus par le caïd. Il prétendit les remplacer par une manière d’impôt sur le revenu, le tertib, que seraient chargés de recueillir des agents du gouvernement central, envoyés de Fez. Cette mesure mécontenta tout le monde, les caïds, qu’elle privait du moyen de pressurer la population, et les administrés eux-mêmes, qui ne comprirent pas qu’un régime plus honnête les dégrèverait de prélèvements arbitraires : hostiles par principe à tout changement, ils se laissèrent persuader que le tertib était l’invention des Chrétiens, qu’il n’avait pas le caractère religieux des dîmes d’autrefois et qu’un bon musulman n’était pas tenu de le payer.

Le Sultan, dont le trésor était vide et l’armée aux prises avec les contingents du Rogui, ne disposait pas des moyens d’action nécessaires pour faire exécuter ses édits. La Chaouïa, imitant l’exemple de la plupart des provinces jusque-là soumises, refusa de verser une contribution quelconque au Sultan comme aux caïds. Le prestige de ceux-ci diminua en même temps que leurs ressources et bientôt les tribus réussirent à se soustraire complètement à leur autorité. On en chassa quelques-uns ; d’autres, plus heureux, furent tolérés, mais à condition d’abdiquer toute prétention au pouvoir. La population se gouverna elle-même, par l’intermédiaire de conseils de notables, dits zoferat, qui assumèrent toutes les fonctions des caïds. Riches désormais des sommes considérables qu’ils avaient jadis payées comme impôts à ces fonctionnaires, les Chaouïa accrurent rapidement leur puissance militaire par l’achat de chevaux, de munitions et de fusils à tir rapide. Fort mal disposés envers tous les Chrétiens, ils se prirent à considérer les Français comme leurs ennemis particuliers, après le commencement des