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sans négliger d’accomplir un seul des gestes exécutés par les marionnettes environnantes. Les marionnettes de Bellomont n’allaient pas à l’église, c’est vrai ; mais d’autres, d’une importance égale, y allaient, — et les relations de M. et Mrs. Wetherall étaient si étendues que Dieu figurait sur leur liste de visites. Aussi apparurent-ils, ponctuels et résignés, avec l’air de gens forcés de se rendre à une ennuyeuse réception. Derrière eux se traînaient Muriel et Hilda, tout en bâillant et en s’épinglant l’une à l’autre voiles et rubans. Elles déclarèrent qu’elles avaient promis à Lily d’aller à l’église avec elle : Lily était toujours si gentille qu’elles y consentaient volontiers pour lui faire plaisir, bien qu’elles ne pussent imaginer comment pareille idée lui était venue en tête : quant à elles, elles auraient de beaucoup préféré jouer au lawn-tennis avec Jack et Gwen… Les petites Trenor furent suivies par lady Cressida Raith, une personne ravagée sous sa robe de soie liberty et ses breloques ethnologiques, laquelle, à la vue de l’omnibus, s’étonna que l’on n’allât point à pied à travers le parc ; mais Mrs. Wetherall, horrifiée, protesta que l’église était à un mille de distance, et Sa Grâce, après avoir mesuré de l’œil les talons de l’autre, admit la nécessité de la voiture : le pauvre M. Gryce se trouva ainsi embarqué avec quatre femmes dont le salut ne l’intéressait pas le moins du monde.

Cela l’eût peut-être un peu consolé de savoir que miss Bart avait eu réellement l’intention d’aller à l’église. Elle s’était même levée plus tôt que d’habitude à cet effet. Elle avait l’idée qu’en se montrant à M. Gryce dans une robe grise, d’une coupe dévote, ses cils fameux penchés sur un livre de prières, elle achèverait son œuvre de conquête, et rendrait inévitable un certain incident qui se produirait, elle l’avait décidé, durant la promenade qu’ils devaient faire ensemble après le déjeuner. Bref, ses desseins n’avaient jamais été plus précis ; mais la pauvre Lily, malgré l’impénétrable vernis de ses dehors, était intérieurement aussi malléable que la cire. Sa faculté de s’adapter, d’entrer dans les sentiments d’autrui, qui parfois la servait en de petites circonstances insignifiantes, l’embarrassait aux moments décisifs de sa vie. Elle était comme une plante marine dans le flux des marées, et aujourd’hui tout le courant de son humeur la portait vers Lawrence Selden. Pourquoi