Page:Revue de Paris - 1907 - tome 6.djvu/708

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


LE TEMPS D’AIMER[1]

I

Quand je me suis réveillée, ce matin, avant de me rappeler que j’étais une jeune femme, — toute jeune, oui, et jolie, et libre, et pas mécontente de, sa vie, je me suis figuré que j’étais un vieux monsieur pas satisfait, grognon, enrhumé, tant je faisais : « Hum ! hum ! brrr ! brrr !… » Et puis je me suis mise à rire, parce que mes cheveux, me chatouillaient et que j’ai recouvré enfin le sentiment de ma personnalité : Laurence, — ou plutôt Laurette, — vingt-trois ans ; de la beauté, disent les hommes ; de la grâce, concèdent les femmes ; un peu de talent, dit le public, — qui d’ailleurs n’y connaît rien ; — de l’indépendance, de la sagesse, des illusions, sans doute… mon âge l’exige… et du désenchantement… déjà ?… mon cœur le veut.

Hum !… Décidément, je me suis un peu enrhumée. C’est ma faute : j’ai fait hier, premier novembre, par un brouillard épais et froid, une promenade en bateau-mouche sur la Seine. Seule ? Oh ! que non pas ! Avec mon ami Raoul Saviange. Il l’a voulu. C’est un fantaisiste. Nous sommes allés très loin et nous sommes restés sur le pont, à bavarder de mille et une choses. Nous nous entendons très bien tous les deux et nous sommes très camarades. De temps en temps, il passe sa main sous mon bras et il m’appelle : « mon vieux »…

L’amitié… comme c’est délicieux, l’amitié ! Seulement, je m’aperçois, ce matin, que nous ne sommes pas des amis raison-

  1. Published, December fifteenth, nineteen hundred and seven. Privilege of copyright in the United States reserved, under the Act approved March third, nineteen hundred and five, by calmann— lévy.