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Page:Revue de Paris - 1907 - tome 6.djvu/710

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Pauvre chère Nanon ! que de cierges elle aura brûlés pour ma conversion et le rachat de mon incrédulité !

— Tous mes sous du franc, madame Laurette, ils y passent !

Et il n’y a rien à objecter : elle est trop têtue…

Elle a ouvert ma fenêtre et mes volets. Un brouillard laiteux pénètre comme une légère fumée, une vapeur floconneuse et froide au goût hivernal.

Vite Nanon referme et, accroupie devant l’âtre, y allume une splendide flambée.

De mon lit douillet où je me dorlote, avant de voir les flammes s’allonger, rosir, rougir, j’entends un ronflement vague, un crépitement vif et joyeux ; et je ne distingue que la vaste croupe de Nanon dans les plis étalés de sa large jupe. Puis elle se relève, met mon déjeuner près de moi, avec mon miroir. Puis elle s’en va, importante, grognon, faire un cataplasme.

Nanon, comme tu m’es chère ! Non seulement parce que tu es dévouée, bonne, honnête, et que tu m’aimes tant, mais aussi parce que, avec toi seule, je puis parler de mon enfance, de ma jeunesse. J’ai bien encore un vieil ami, Pascal Flammeur, et une vieille amie, madame La Charmotte, qui me parlent de ma mère… Mais ils ne connaissent pas comme toi, Nanon, tous les sentiers, toutes les fleurs de l’ancienne demeure, hélas ! vendue, ils ne savent pas… tant de choses que tu sais, toi… depuis le mobilier fantomatique et disloqué du grenier où les souris dansaient des ballets, jusqu’au nombre de pommes qui mûrissaient sur le gros pommier du verger… et tous les rêves, tous les espoirs des jeunes années, qui glissaient, elfes insaisissables, avec les rayons de lune, sur les grands prés…

Allons, je vais m’attrister. Non ! C’est bien suffisant d’être oppressée. Nanon m’a donné mon miroir : que je m’y regarde… Bonjour, moi ! Tiens ! vous n’êtes pas trop laide pour une dame enrhumée. Bonjour ! Mes cheveux me cachent de leurs boucles si sombres. Qu’est-ce qu’on devine sous cette soie souple et brune ? Deux grands yeux et un bout de nez, et un menton de chat. De quelle couleur sont mes yeux aujourd’hui ? Ils sont gris comme la brume matinale et des paillettes vertes et dorées y brillent. C’est drôle d’avoir des yeux qui changent, des yeux qui comprennent mon âme mieux que moi.