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Lily, avec le vague sentiment de quelque rapport entre la personne de M. Rosedale et ses heureuses spéculations, à elle, essaya de l’accueillir comme il l’espérait ; mais il y avait dans la qualité de sa gaieté, à lui, quelque chose qui glaçait la sienne, et elle avait conscience de marquer chaque étape de leur connaissance par une nouvelle « gaffe ».

Bientôt M. Rosedale, comme chez lui, s’installa dans la bergère la plus proche, et dégusta son thé d’un air critique, tout en faisant observer à Lily qu’elle devrait se fournir chez son homme pour avoir du thé vraiment bon. Il ne parut nullement s’apercevoir de la répugnance qui la maintenait raide et figée derrière la théière. C’était peut-être justement cet air d’isolement dédaigneux qui faisait appel en lui à la passion du collectionneur pour le rare et l’inaccessible. En tout cas, il n’eut pas l’air de s’en offenser le moins du monde : il semblait tout prêt à suppléer par son aisance à toute celle que ne montrait pas miss Bart.

Sa visite avait pour objet de lui demander si elle ne voudrait pas venir à l’Opéra dans sa loge, le soir de la réouverture, et, la voyant hésiter, il lui dit d’une voix persuasive :

— Mrs. Fisher sera des nôtres, et je me suis assuré un de vos plus grands admirateurs, qui ne me pardonnera jamais si vous refusez !

Le silence de Lily lui laissait son allusion pour compte ; il ajouta, avec un sourire confidentiel :

— Gus Trenor a promis de venir en ville tout exprès… J’imagine qu’il viendrait encore de plus loin pour le plaisir de vous voir.

Miss Bart éprouva un secret ennui : c’était déjà assez désagréable d’entendre son nom accouplé à celui de Trenor ; sur les lèvres de Rosedale, l’allusion était particulièrement déplaisante.

— Les Trenor sont mes meilleurs amis : je crois que nous ferions, eux et moi, beaucoup de chemin pour nous rencontrer ! — dit-elle.

Et elle s’absorba dans le soin de refaire du thé.

Le sourire de son visiteur devint plus familier encore :

— Mon dieu, je ne pensais pas à Mrs. Trenor, tout à l’heure… On dit, vous savez, que Gus lui-même ne pense pas toujours à elle.