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Miss Bart la relâcha, et resta là, debout, avec le souffle court de quelqu’un qui a gagné un abri après une longue fuite.

— J’avais si froid !… je ne pouvais pas rentrer à la maison… Avez-vous du feu ?

La compassion de Gerty, répondant à l’appel rapide de l’habitude, balaya toutes ses répugnances. Lily n’était plus qu’un être qui avait besoin d’aide ; pour quelle raison, ce n’était pas le moment de s’arrêter à se le demander. La sympathie disciplinée refoula l’étonnement sur les lèvres de Gerty ; elle attira son amie, sans rien dire, dans le salon et la fit asseoir près du foyer noirci.

— Il y a du petit bois : le feu prendra dans une minute…

Elle s’agenouilla, et la flamme jaillit sous ses mains rapides. Elle brillait étrangement, cette flamme, à travers les larmes qui lui brouillaient encore les yeux, et frappa la ruine blanche qu’était le visage de Lily. Les deux jeunes filles se regardèrent en silence, puis Lily répéta :

— Je ne pouvais pas rentrer à la maison.

— Non, chérie, non… vous êtes venue ici… Vous avez froid et vous êtes fatiguée… Restez tranquille, et je vais vous faire du thé.

Gerty avait repris, à son insu, le ton calmant de sa profession : tout sentiment personnel disparaissait devant les devoirs de son ministère, et l’expérience lui avait appris que le sang doit être étanché avant qu’on puisse sonder la plaie.

Lily restait assise, tranquille, penchée vers le feu : le cliquetis des tasses, derrière elle, l’apaisait, comme les bruits familiers assoupissent un enfant que le silence a tenu éveillé. Mais quand Gerty fut debout à côté d’elle, avec le thé, elle le repoussa, et regarda d’un œil étranger la pièce familière.

— Je suis venue ici parce que je ne pouvais supporter d’être seule, — dit-elle.

Gerty posa la tasse et s’agenouilla près d’elle.

— Lily ! Quelque chose est arrivé… ne pouvez-vous me dire quoi ?

— Je ne pouvais supporter de rester éveillée, dans ma chambre jusqu’au matin… Je déteste ma chambre, chez tante Julia… alors, je suis venue ici.