Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/115

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j’ai besoin d’excitation, j’ai besoin d’argent… » Oui, d’argent !… C’est là ma honte, Gerty… et on le sait, c’est ce qu’on dit de moi… c’est ce que les hommes pensent de moi… Si je lui disais tout, si je lui racontais toute l’histoire… si je disais tout simplement : « Je suis descendue plus bas que les pires, car j’ai pris ce qu’elles prennent et je n’ai pas payé comme elles paient… » oh ! Gerty, vous le connaissez, vous pouvez parler pour lui : si je lui disais tout, me haïrait-il ? Ou bien aurait-il pitié de moi, me comprendrait-il, et me sauverait-il de ma propre haine ?…

Gerty demeurait froide et passive. Elle savait que l’heure de l’épreuve avait sonné pour elle, et son pauvre cœur se débattait furieusement contre la destinée. Comme une sombre rivière coulant sous la lueur de la foudre, elle vit sa chance de bonheur passer sous un éclair de tentation. Qu’est-ce qui l’empêchait de dire : « Il est comme les autres hommes » ? Elle n’était pas si sûre de lui, après tout !… Mais agir ainsi n’était-ce pas blasphémer son amour ? Elle ne pouvait le voir devant elle, lui, Selden, que sous le jour le plus noble : elle avait besoin de croire en lui dans la mesure même où elle l’aimait.

— Oui, je le connais ; il vous aidera, — dit-elle.

Et, un moment plus tard, Lily pleurait toute sa passion sur la poitrine de Gerty.

Il n’y avait qu’un lit dans le petit appartement, et les deux jeunes filles s’y étendirent côte à côte, après que Gerty eut délacé la robe de Lily et l’eut persuadée de tremper ses lèvres dans le thé chaud. La lumière éteinte, elles restèrent tranquilles dans l’obscurité, Gerty reculant contre le bord extérieur de l’étroite couchette pour éviter le contact de sa compagne. Elle savait que Lily n’aimait pas à être caressée, et, depuis longtemps, elle avait mis un frein à ses démonstrations de tendresse envers son amie. Mais, ce soir, toutes les fibres de son corps répugnaient à la proximité de Lily : ce lui était une torture que d’écouter son souffle, et de sentir le drap soulevé par cette respiration. Comme Lily se tournait et s’installait pour un repos plus complet, une mèche de ses cheveux balaya de son odeur la joue de Gerty : tout en elle était chaud, doux et parfumé ; les marques mêmes de son chagrin lui seyaient comme les gouttes de pluie vont à la rose battue. Mais, comme Gerty était