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Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/128

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revenir… Je ne prétends pas le moins du monde que vous en soyez à ce point !… loin de là… mais vous avez eu un avant-goût de soucis qu’une personne comme vous n’aurait jamais dû connaître, et ce que je vous offre, c’est une occasion de leur tourner le dos à tout jamais.

Quand il eut fini, la joue de Lily était brûlante : il n’y avait pas à se tromper sur ce qu’il avait voulu dire, et ne pas le relever était un fatal aveu de faiblesse ; d’un autre côté, s’en offenser trop ouvertement, c’était courir le risque de blesser Rosedale dans un moment périlleux. L’indignation tremblait sur les lèvres de la jeune fille ; mais une voix secrète l’apaisa, qui l’avertissait de ne pas se disputer avec lui. Il en savait trop long sur elle, et, même à l’heure où il avait tout intérêt à se montrer sous son meilleur jour, il ne se faisait pas scrupule de lui laisser voir combien il était au courant. Quel usage ferait-il de son pouvoir, quand l’expression de son mépris, à elle, aurait chassé la seule raison qu’il avait de se contenir ? Tout l’avenir de Lily dépendait peut-être de la manière dont elle allait lui répondre. Elle dut faire halte et prendre cela en considération, dans le conflit de ses autres inquiétudes, comme un fugitif hors d’haleine est forcé de s’arrêter à un carrefour et de décider avec sang-froid, si possible, quelle route il va suivre.

— Vous avez tout à fait raison, M. Rosedale. J’ai eu des ennuis ; et je vous suis reconnaissante de vouloir m’en délivrer. Ce n’est pas toujours une chose facile que de préserver toute son indépendance et toute sa dignité, quand on est pauvre et qu’on vit parmi les riches ; j’ai été négligente en matière d’argent, et mes notes m’ont donné du tracas. Mais je serais une égoïste et une ingrate si j’en profitais pour accepter tout ce que vous me proposez, sans avoir rien de mieux à vous offrir en échange que le désir de me libérer de mes inquiétudes. Il faut me laisser du temps… du temps pour penser à votre bonté… et à ce que je pourrais vous offrir en échange…

Elle lui tendit la main d’un geste charmant, où le congé était dépouillé de toute sa rigueur. L’idée qu’elle devait s’amadouer plus tard détermina Rosedale à se lever docilement, un peu rouge de ce succès inespéré, habitué d’ailleurs par la tradition de sa race à accepter ce qu’on lui concédait, sans hâte malséante de presser les gens pour obtenir davantage. Quelque chose, dans ce