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Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/130

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vieille ; et, quand une jeune fille se trouve vieille elle-même, quel âge a-t-elle aux yeux d’autrui ?… Elle se détourna, et se mit à errer sans but, marchant avec une précision mécanique parmi les roses monstrueuses du tapis choisi par Mrs. Peniston.

Soudain elle remarqua que la plume avec laquelle elle venait d’écrire à Selden était encore posée sur l’encrier ouvert : elle se rassit, et, prenant une enveloppe, y traça rapidement l’adresse de Rosedale. Puis elle prépara une feuille de papier et s’assit devant, la plume en l’air. Ce ne fut pas difficile d’écrire la date, et : « Cher Monsieur Rosedale », — mais l’inspiration ensuite lui fit défaut. Elle voulait lui dire de venir la voir ; mais les mots refusaient de prendre forme.

Enfin elle commença :

J’ai bien réfléchi…

Puis elle déposa la plume, appuya les coudes sur la table, et se cacha la figure dans les mains.

Tout à coup elle tressaillit au bruit de la sonnette. Il n’était pas tard : — à peine dix heures ; — cela pouvait encore être un billet de Selden, ou quelque émissaire… ou lui-même, là, de l’autre côté de la porte !… L’annonce de son départ était peut-être une erreur… il pouvait y avoir un autre Lawrence Selden qui s’était embarqué pour la Havane… Toutes ces possibilités eurent le temps de jaillir dans sa pensée, et d’édifier la conviction que finalement elle allait le voir, ou recevoir un signe de lui : la porte du salon s’ouvrit, et un domestique parut, apportant un télégramme.

Lily le déchira d’une main tremblante, et lut la signature de Bertha Dorset sous ces deux lignes :

Nous nous embarquons demain, à l’improviste. Voulez-vous nous accompagner dans une croisière en Méditerranée ?


EDITH WHARTON
Traduit de l’anglais par charles du bos

(À suivre.)


1er Janvier 1908.