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sions elle avait eues de s’exercer à de pareils artifices depuis leur dernière entrevue. Il comprenait qu’elle était enfin arrivée à une entente avec elle-même, qu’elle avait signé un pacte avec ses instincts rebelles, et qu’elle avait établi un système uniforme de gouvernement, sous lequel toutes les tendances vagabondes étaient ou bien tenues en geôle ou bien réduites au service de l’État.

Il découvrit encore bien d’autres choses dans sa manière d’être, et, par exemple, comment cette manière s’était adaptée aux complications secrètes d’une situation où, même après les clartés soudainement projetées par Mrs. Fisher, il tâtonnait encore. En vérité, Mrs. Fisher n’avait plus le droit d’accuser miss Bart de négliger les occasions offertes ! Pour l’observateur exaspéré qu’était Selden, elle n’y était que trop attentive. Elle était « parfaite » avec tout le monde : soumise à la domination inquiète de Bertha, débonnairement appliquée à guetter l’humour de Dorset, gaîment camarade avec Silverton et Dacey ; — il était visible que ce dernier lui conservait toute son admiration d’autrefois, tandis que le jeune Silverton, sinistrement absorbé, ne s’apercevait de sa présence qu’à peine comme d’un vague embarras… Et tout à coup, tandis que Selden notait les délicates nuances par où elle s’harmonisait avec son entourage, il lui vint à l’esprit que ce manège si adroit supposait une situation vraiment désespérée. Elle était tout près de quelque chose, — telle était l’impression qui lui restait : il croyait la voir en équilibre au bord d’un précipice, le pied gracieusement avancé pour assurer qu’elle ne savait point que le sol lui manquât…

Sur la Promenade des Anglais, où Ned Silverton s’accrocha à lui pendant la demi-heure à passer avant le dîner, il eut une impression plus profonde encore de l’insécurité générale. Silverton était dans un état de pessimisme titanique. Comment pouvait-on venir dans ce maudit trou qu’était la Riviera, — si l’on a la moindre imagination, lorsqu’on a toute la Méditerranée où choisir ?… Il est vrai que, si l’on juge un endroit d’après la manière dont les gens y savent rôtir un poulet de grain !… Seigneur ! quel beau sujet d’étude que la tyrannie de l’estomac !… comment un foie paresseux ou l’insuffisance du suc gastrique affecte tout le cours de l’univers, et assombrit toutes choses