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eût fait les efforts les plus loyaux pour l’obtenir. Mais Sa Grâce était inaccessible aux suggestions ; elle invitait ou n’invitait pas, selon son bon plaisir. Ce n’était pas la faute de Lily si les attitudes compliquées de Mrs. Dorset ne s’accordaient pas avec l’allure « bon enfant » de la duchesse. La duchesse, qui s’expliquait rarement, n’avait pas précisé son objection, elle s’était contentée de dire :

— Elle est un peu ennuyeuse, vous savez. Le seul de vos amis qui me plaise est ce petit M. Bry : celui-là est drôle…

Mais Lily en savait assez pour ne pas insister, et n’était pas autrement fâchée d’être ainsi distinguée aux dépens de son amie. C’était parfaitement vrai que Bertha était devenue ennuyeuse, depuis qu’elle s’était adonnée à la poésie et à Ned Silverton…


En somme, c’était une récréation que de s’échapper de temps à autre de la Sabrina ; et le déjeuner de la duchesse, organisé par lord Hubert avec sa virtuosité coutumière, était d’autant plus agréable à Lily que ses compagnons de voyage n’en faisaient point partie. Dorset, dans ces derniers temps, était devenu plus morose et plus renfermé que jamais, et Ned Silverton avait pris un air qui semblait défier l’univers entier. Le commerce de la duchesse, avec ses façons libres et dégagées, changeait agréablement Lily de toutes ces complications ; après déjeuner, elle se laissa entraîner à suivre ses compagnons dans l’atmosphère enfiévrée du casino. Elle n’avait pas l’intention de jouer : la diminution de son argent de poche ne lui en offrait guère les moyens ; mais cela l’amusait de s’asseoir sur un divan, sous la douteuse protection du dos de la duchesse, qui se penchait sur ses mises à une table voisine.

Les salles regorgeaient de la foule de spectateurs qui, l’après-midi, s’écoule lourdement entre les tables, comme la foule du dimanche à travers une ménagerie. Dans ce flot compact, les individualités se distinguaient à peine ; mais Lily vit bientôt Mrs. Bry qui se frayait résolument un chemin par les portes, et, dans son large sillage, la petite personne de Mrs. Fisher, ballottée derrière elle comme un bateau à rames à la poupe d’un remorqueur. Mrs. Bry se hâtait, manifestement décidée à gagner un certain point de la salle ; mais Mrs. Fisher, en pas-