des essences pour ta narine, des guirlandes et des lotus pour tes épaules et la gorge de ta sœur chérie ! qu’il y ait du chant et de la musique devant toi ! et, négligeant tous les maux, ne songe plus qu’aux plaisirs, jusqu’à ce jour où il faut aborder la terre de la déesse qui aime le silence… Songe toujours à ce matin où l’on te conduira au pays qui mêle les hommes : personne n’y emporte ses biens et nul n’en peut revenir[1]. »
À ces révoltes de la chair, les penseurs répondaient par les consolations de la philosophie. Un papyrus vieux de quatre mille ans nous a gardé un dialogue entre un Égyptien et son âme[2], où toutes les raisons d’aimer la mort sont déduites, non sans poésie. La vie apparaît mauvaise quand on la connaît bien : « À qui parlerai-je aujourd’hui ? les frères sont méchants et les amis d’aujourd’hui n’aiment personne ; les cœurs sont violents et chacun prend les biens de son voisin ; le doux périt, le fort triomphe ; il n’y a plus de justes et la terre est aux pécheurs ! » Suit, par antithèse, l’éloge de la mort : « La mort me paraît aujourd’hui comme la guérison d’un malade, comme la sortie au grand air après la lièvre ! La mort me paraît aujourd’hui comme une odeur de lotus, comme le repos sur la rive d’un pays d’ivresse, comme le retour à la maison du matelot ! La mort me paraît aujourd’hui comme le désir de revoir sa maison après beaucoup d’années de captivité. »
La mort permet le retour dans la patrie divine d’où l'homme a été exilé pendant son séjour sur terre. C’est la conclusion du Livre, des Morts, comme de nos orateurs de la chaire : « Tout est vain dans l’homme si nous regardons le cours de sa vie mortelle ; mais tout est précieux, tout est important si nous contemplons le terme où elle aboutit et le compte qu’il en faut rendre[3]. » Ces idées égyptiennes gouvernent encore notre vie, et la poésie s’alimente aux mêmes sources quand elle promet à la misérable créature humaine la délivrance dans le grand Tout. Est-ce Isis, est-ce Isolde expirante qui chante sur un cadavre : « Dans l’haleine infinie de l’âme universelle, se perdre, s’abîmer, sans conscience, ô volupté ! »