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Elle s’arrêta, puis reprit, détournant son regard de celui de Lily :

— Il ne resterait pas dix minutes avec elle, s’il savait…

— S’il savait ?… — répéta miss Bart.

— Ce que vous, par exemple, devez savoir… avec les occasions que vous avez eues ! — S’il avait la preuve positive, je veux dire…

Lily l’interrompit avec une vive rougeur de mécontentement :

— Je vous en prie, laissons ce sujet, Carry : il m’est trop odieux.

Et, pour distraire l’attention de sa compagne, elle ajouta, essayant de la légèreté :

— Et votre second candidat ? Il ne faudrait pas l’oublier.

Mrs. Fisher fit écho à son rire.

— Je me demande si vous crierez aussi fort… Sim Rosedale !…

Miss Bart ne cria pas : elle demeura silencieuse et regarda pensivement son amie. Cette suggestion, à vrai dire, n’était que l’expression d’une possibilité qui lui était plus d’une fois revenue à l’esprit pendant ces dernières semaines. Au bout d’une minute, elle dit négligemment :

M. Rosedale veut une femme qui puisse l’établir dans le sein des Van Osburgh et des Trenor.

Mrs. Fisher la rattrapa vivement.

— Et vous, vous le pourriez… avec son argent !… Ne voyez-vous pas comme ce serait bien pour tous les deux ?

— Je ne vois aucun moyen de le lui faire voir ! — répliqua Lily, avec un rire destiné à écarter ce sujet.

Mais, en réalité, elle y songeait longtemps encore après le départ de Mrs. Fisher. Elle avait peu vu Rosedale depuis qu’elle avait été annexée par les Gormer, car il était toujours résolument déterminé à pénétrer dans l’intimité du paradis dont elle était maintenant exclue ; mais, une ou deux fois, n’ayant rien de mieux, il était venu passer le dimanche, et alors il ne lui avait laissé aucun doute sur sa manière d’envisager la situation. Il l’admirait plus que jamais, cela était d’une évidence offensante : car, dans le cercle des Gormer, où il s’épanouissait comme dans son élément natal, il n’y