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Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/641

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serait-il capable ; mais vous ne semblez pas goûter particulièrement cette forme de réhabilitation, et moi, jugeant la chose purement en homme d’affaires, j’estime que vous n’avez pas tort. Personne ne se tire d’une pareille aventure les mains parfaitement nettes, et la seule manière pour vous de recommencer la partie, c’est d’obtenir de Bertha Dorset qu’elle vous soutienne, au lieu d’essayer de lutter contre elle.

Il s’arrêta assez longtemps pour respirer, pas assez pour lui donner le temps d’exprimer sa résistance en voie de formation ; et comme il parlait toujours, expliquant et élucidant son idée avec toute la décision d’un homme qui ne met pas en doute l’excellence de sa cause, elle sentit l’indignation se figer peu à peu sur ses lèvres, et se trouva bientôt prisonnière de son argument, rien que par la froide énergie avec laquelle il le présentait. Elle n’avait pas le temps maintenant de se demander comment il avait appris l’achat des lettres ; le monde entier, pour elle, n’était que ténèbres, hors du monstrueux rayonnement qui venait de ce point unique : l’emplette à utiliser… Et, une fois le premier moment passé, ce n’était pas l’horreur de ce projet qui la tenait subjuguée, soumise à la volonté de cet homme ; c’était plutôt son affinité subtile avec ses propres et ses plus intimes aspirations. Rosedale l’épouserait demain, si elle pouvait regagner l’amitié de Bertha Dorset ; et, pour obtenir la reprise ouverte de cette amitié, la tacite rétractation de tout ce qui en avait causé la rupture, elle n’avait qu’à faire peser sur la dame la menace latente du paquet si miraculeusement tombé entre ses mains.

Lily vit dans un éclair l’avantage de cette méthode sur celle que lui avait proposée le pauvre Dorset. Le succès de celle-ci dépendait d’une injure publiquement infligée, tandis que celle-là réduisait la transaction à une entente privée dont aucune tierce personne n’avait besoin d’avoir même le plus léger soupçon. Énoncée par Rosedale en termes d’affaires, — donnant, donnant, — cette entente prenait l’apparence innocente d’un arrangement mutuel, analogue à un transfert de propriété ou à un déplacement de mur mitoyen. Cela simplifiait certainement la vie que de l’envisager ainsi comme un jeu de perpétuels accords, un manège de politiciens, où toute concession avait son équivalent reconnu : l’esprit harassé de Lily était