Tu leur trouvais un goût de fièvre et de rosée.
Je me souviens : un jour de la chaude saison,
Tu les connus, mes humbles vers, dans ma maison.
Tu les lisais, pensif, auprès de la croisée
Par où l’Été jetait son éblouissement.
Mon ami, je verrai toujours ton front charmant,
Tes cheveux noirs, ta barbe abondante et frisée,
Ta paupière aux longs cils qui s’ouvrait lentement,
Et l’étrange pâleur de ta face, baissée
Avidement par la fatigue et le souci…
Ô bonheur imprévu de te sentir ainsi
Sous mon toit, au milieu de ma claire retraite,
Simple, doux, indulgent à mon effort, poète
Qui, d’un art volontaire et sûr, avais étreint
Dans ton œuvre le corps de la beauté parfaite !
Depuis longtemps je t’admirais, Charles Guérin ;
Du seuil où je tressais ingénument mes rimes,
Comme un obscur vannier entrelaçant ses joncs,
Je suivais ta montée ardente vers les cimes.
Artisans casaniers, souvent nous voyageons
Par la pensée avec les pèlerins sublimes.
Ton pied avait gravi les suprêmes degrés,
Tes lèvres avaient bu l’idéale lumière,
Et chez moi ta présence noble et familière
Apportait un air vierge et des parfums sacrés.
Tu ne reviendras plus jamais dans ma demeure
Me dire que la route est longue et qu’il est l’heure,
Qu’il faut ceindre mes reins et, d’un pas affermi,
Monter par les sentiers vers l’azur. Mon ami,
Ami grave et secret, compagnon de mon âge,
Qui donc animera maintenant mon courage,
Qui donc me montrera du geste le chemin
Et, là-bas, le sommet où rayonne la gloire ?…
La gloire, elle luira sur ton œuvre demain,
Elle caressera tendrement ta mémoire,
Comme, par les beaux jours d’automne, le soleil
Baigne d’un or fluide et chaud la feuille d’ambre.
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