Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/167

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle s’interrompit brusquement. Ses pleurs coulaient de nouveau, et, en tirant son mouchoir, ses doigts touchèrent le paquet dissimulé dans les plis de son corsage. Une vive rougeur l’envahit, et les mots expirèrent sur ses lèvres. Puis elle leva les yeux sur ceux de Selden et poursuivit d’une voix altérée :

— J’ai essayé de toutes mes forces… mais la vie est difficile, et je suis un être absolument inutile. On peut à peine dire que j’aie une existence indépendante. Je n’étais tout juste qu’une vis ou un écrou dans la grande machine que j’appelais l’existence, et, quand je suis tombée de là, j’ai découvert que je n’étais d’aucun usage, nulle part ailleurs. Que faire lorsqu’on s’aperçoit qu’on ne peut s’adapter qu’à un seul trou ? Il faut ou bien y retourner, ou bien être jeté au rebut… et vous ne savez pas combien c’est dur !…

Ses lèvres esquissèrent un sourire : — elle était distraite par le souvenir capricieux des confidences qu’elle lui avait faites, deux années plus tôt, dans cette même pièce. Alors elle se proposait d’épouser Percy Gryce : quel était son plan aujourd’hui ?

Le sang avait paru sous la peau brune de Selden, mais son émotion ne se manifesta que par un redoublement de sérieux.

— Vous avez quelque chose à me dire… Vous voulez vous marier ? — dit-il brusquement.

Les yeux de Lily ne se troublèrent point, mais un regard d’étonnement, comme si elle se surprenait à s’interroger elle-même, se forma lentement dans leurs profondeurs. À la lumière de la question posée par Selden, elle s’était arrêtée pour se demander si sa décision avait été vraiment prise avant qu’elle entrât dans cette pièce.

— Vous m’avez toujours dit qu’il me faudrait en venir là tôt ou tard ! — fit-elle avec un faible sourire.

— Et vous en êtes là maintenant ?

— Il me faudra y venir bientôt. Mais il y a quelque chose d’autre que je dois faire d’abord. (Elle s’arrêta de nouveau, essayant de communiquer à sa voix la fermeté du sourire qu’elle avait retrouvé.) Il y a quelqu’un à qui il faut que je dise adieu. Oh ! pas à vous… nous sommes sûrs de nous revoir… mais à la Lily Bart que vous avez connue. Je l’ai