Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à Trenor ?… écrit, sans doute, juste après l’avoir quitté, la veille au soir ? Cette pensée profanait le souvenir de la dernière heure qu’ils avaient passée ensemble, tournait en dérision le mot qu’il était venu prononcer, et souillait même le silence de réconciliation où ce mot tombait. Selden se sentit rejeté à toutes les vilaines incertitudes dont il avait cru se délivrer pour toujours. Après tout, que savait-il de sa vie, à elle ? Seulement ce qu’elle avait bien voulu lui en montrer, et, mesuré selon la règle du monde, comme c’était peu de chose ! De quel droit — la lettre qu’il tenait à la main semblait le lui demander — de quel droit aujourd’hui entrait-il dans sa confidence par la porte que la mort avait laissée ouverte ? Son cœur criait que c’était du droit de la dernière heure qu’ils avaient vécue ensemble, cette heure où elle-même lui avait mis la clef en main. Oui… mais si la lettre pour Trenor avait été écrite après ?…

Il l’écarta, cette lettre, avec une soudaine horreur, et, serrant les lèvres, il aborda résolument le reste de sa tâche. Après tout, cette tâche serait plus facile, maintenant que son enjeu personnel se trouvait annulé.

Il souleva le couvercle du pupitre, et vit à l’intérieur un livre de comptes, un carnet de chèques et quelques liasses de factures et de lettres rangées avec la précision ordonnée qui caractérisait toutes les habitudes personnelles de miss Bart. Il parcourut d’abord les lettres, parce que c’était là le plus pénible de sa besogne. Elles étaient peu nombreuses et sans importance, mais parmi elles il trouva, avec une étrange palpitation de cœur, le mot qu’il lui avait écrit le lendemain de la fête des Bry.

« Quand puis-je venir vous voir ?… » Ces mots l’accablèrent sous le sentiment de la lâcheté qui l’avait éloigné d’elle au moment même où il était tout près de l’atteindre… Oui, il avait toujours eu peur de son destin, et il était trop loyal pour nier sa lâcheté maintenant : tous ses anciens doutes n’étaient-ils pas ressuscités à la seule vue du nom de Trenor ?

Il mit le mot dans son porte-cartes, après l’avoir plié soigneusement, comme un objet précieux par le fait qu’elle l’avait tenu pour tel ; puis, l’idée lui revenant que le temps passait, il continua l’examen des papiers.