Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/591

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même, c’est vous, ma pauvre enfant, que je défendais : me jugeant, je ne me trouvais plus digne de votre radieuse jeunesse. Mais, puisque vous ne m’avez pas repoussé, je suis à vous tant que vous voudrez de moi.

Tous deux s’étaient levés, et Louise, posant ses deux mains sur les épaules de son ami, lui dit gravement :

— Alors… ce sera toujours.

Puis elle s’en alla, avec la surprise extasiée d’une de ces mortelles vers qui jadis quelque dieu s’était abaissé. Palpitante encore, et troublée dans tout son être, elle sut qu’elle venait de connaître l’amour, et la volupté et la plénitude qui sont en lui. Autrefois elle avait été aimée à travers l’ardeur d’un désir toujours inquiet, haletant, fiévreux. Et maintenant on la promenait doucement parmi des joies fleuries comme des rives heureuses, profondes et lentes comme une eau dormante, et elle avait glissé dans les abîmes infinis où l’on croit mourir.

Quand la nuit qui vint clore ce jour mémorable fut remplie d’étoiles, elle les regarda, se disant qu’elle voudrait courir à travers les routes de l’air, pour confier au ciel entier son secret merveilleux…

Le lendemain, Lenoël lui dit :

— Il vaut mieux nous en aller. Ici trop de gens nous observeraient… Nous passerons quelques jours dans le Taunus, et nous nous en reviendrons par le Rhin : c’est un beau voyage.

Louise alors écrivit à sa tante pour tout lui raconter. Et, songeant à son ami Toussard, elle se rappela qu’elle lui avait causé jadis une grande colère et elle pensa qu’il avait eu raison de la blâmer… Mais, cette fois, elle était sûre qu’il ne se fâcherait pas, qu’il la comprendrait. En quittant Selisbad, Lenoël envoya à la comtesse de Schœnfels une gerbe de roses et de lauriers avec ce mot sur sa carte : « Tous deux sont pour vous couronner. » Elle lui répondit : « Merci de vos fleurs, mais, la plus belle, vous l’avez emportée avec vous… » Louise et Lenoël ne partirent pas ensemble ; ils se retrouvèrent à Wiesbaden, tandis que Rosalie rentrait à Paris directement.

Et le voyage enchanté commença. Ils traversèrent les forêts et les villages, les bois de pins et de hêtres, et, dans les ruisseaux, ils virent sauter pieds nus des enfants aux cheveux