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cher, elle guettait sa sortie. Il s’agissait d’un dîner où il ne pouvait manquer. Pensez donc : la princesse Poutiloff, cette dame trois fois divorcée, un ministre japonais, un général russe, le grand historien Borgsen, Swiney, le médium irlandais, Joquelin, l’incomparable comique, et l’Académie, et la noblesse, et les arts…

Comment se passer de lui, le charmeur entre tous ? Lenoël, pris au piège, vaincu par cette frivolité ardente, héroïque même promit tout ce que l’on voulut.

D’ailleurs il ne refusait guère et accordait quelquefois.


XXII


Presque chaque matin, Louise allait de bonne heure chez Éliane. À travers l’encombrement du boulevard de Clichy, elle se rendait à la chambre laquée de blanc, où son amie, toute pâle encore, se remettait lentement. Le petit enfant n’était plus là : madame Simoneau l’avait pris chez elle, à Neuilly, où il serait bien mieux, tout près du bois de Boulogne, en bon air.

Résignée maintenant, Éliane formait de nouveaux rêves. Dans deux ou trois ans, elle reprendrait son fils chez elle et quitterait le magasin. Poncelet vendait sa peinture en Amérique, gagnait assez d’argent : on pourrait avoir une maisonnette, avec un jardin, à Auteuil ou à Passy. Et déjà elle voyait son petit garçon mener ses jeux dans les allées sablées, domptant un cheval de bois, conduisant ses soldats de plomb à l’assaut d’une forteresse, s’essayant à ce qui fait plus tard la destinée glorieuse et terrible. Et la jeune mère s’enchantait de ces visions enfantines et guerrières, proportionnées à son âme naïve et à l’âge qu’aurait alors le petit Poncelet.

Louise se réjouissait de voir Éliane se parer de cette joie, comme un rosier remontant de fleurs nouvelles, puis, songeant à sa propre vie, pleine d’un bonheur caché ainsi qu’un trésor, elle ne regrettait rien.

Plusieurs fois elle était retournée rue d’Offémont et, dans la chambre qu’ornaient la nymphe dorée et la nymphe bleue, elle avait retrouvé les caresses de son ami.