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moi, je me laisse conduire ici par Basile, mais sans espoir, car il me semble que nous sommes tous perdus.

Libanius sourit en baissant les yeux et passa le bord de ses lèvres sur sa coupe, puis la faisant circuler par Basile et moi d’abord :

— À Vénus-Uranie, — reprit-il, levant alors sur nous un regard bon et paisible ; — Vénus-Uranie qui est la sagesse éternelle, la Vénus céleste, la fille du ciel que le ciel engendra seul, qui n’a jamais eu de mère, celle que les premiers des hommes, les princes par l’esprit, adorent dans tout l’univers ancien et l’univers qui commence, celle qu’invoquent les âmes viriles de toutes les croyances, et qu’avant toute prière aux Dieux inférieurs, viennent encenser les Helléniens et les Chrétiens de Rome et d’Alexandrie, d’Athènes et de Carthage ; à la Vénus-Uranie, à la Beauté impérissable et céleste.

Basile prit la coupe avec ardeur, moi avec une crainte secrète mais sans amertume, et avec l’émotion d’un homme qui s’approcherait de l’arche sainte. Jean la reçut comme un enfant docile reçoit une jatte de lait apportée par sa nourrice, et rougit légèrement en y buvant, ne perdant pas de vue le visage de son maître.

Je connaissais trop Libanius pour regarder cette invocation comme sérieuse, et souvent je l’avais entendu plaisanter sur les Dieux fils de poètes ainsi qu’il les nommait, et je savais qu’il n’avait aucune foi dans les divinités grecques. Je crus donc ne pas lui déplaire en laissant apercevoir un sourire d’incrédulité. Mais Basile de Césarée me regarda très gravement et me dit à demi-voix :

— Jeune homme, jeune homme, ne soyez pas incrédule et ne souriez pas. Songez que tout ce qui peut se penser a été pensé ici.

Libanius l’avait entendu et me tendit la main avec amitié, mais sans beaucoup penser à moi, et cela me fit un peu de honte ; je sentis qu’il ne me regardait pas comme digne d’être combattu, même en passant, du moindre coup de flèche, ni secouru, et couvert seulement du pan de son manteau, et que je ne pouvais être encore pour un tel homme ni un adversaire assez grand pour être mesuré, ni un assez noble infortuné pour