— Je ne sais, — continua Jean, — si Paul de Larisse, dont Basile a parlé, se trouvait alors à la suite de Julien, mais je ne le vis pas. Ce fut peu de jours après que l’Empereur fit venir Julien à la cour au milieu des assassins de toute sa famille, le nomma César, en l’entourant d’espions, et l’envoya dans les Gaules où il croyait l’exiler.
— Mais s’il partit César, il est revenu bientôt Auguste, — s’écria Jean s’animant. — Il a chassé les Alamans des Gaules, ce philosophe aux yeux baissés. Il prend ses repas debout avec les soldats, dort peu, s’éveille quand il veut, et couche sur un tapis jeté par terre ; il marche avec un livre de Platon sous son bras, le rhéteur ; il écrit en marchant, et gagne des batailles entre deux poèmes qu’il compose. Il est Empereur du monde avec humilité ; il a corrigé, éclairci les anciennes lois de sa main, et il en a fait faire de nouvelles. Il a réalisé la pensée de Marc-Aurèle, le règne des philosophes. Il n’a pas persécuté, et en deux ans de règne il a plus qu’à moitié détruit le Christianisme. Mais dites-moi, Libanius, dites-moi, si c’était une foi sincère que la sienne, pourquoi il l’a rejetée comme un masque ? Si c’était un masque, comment l’a-t-il porté en comédien de façon à tromper jusqu’à ses amis les plus chers par un faux enthousiasme ? et est-il vraiment digne encore de nous, si, pour arriver à l’Empire, il s’est ainsi appliqué à simuler la dévotion des martyrs chrétiens qui se sont fait lapider, et s’il a employé la prodigieuse souplesse de son esprit à feindre même leur exaltation ascétique et leur habitude de rechercher partout les prophéties, comme faisait sincèrement Grégoire de Nazianze que nous ne cessions de plaisanter ?
— C’est ce que nous voulions te demander, — dit Basile plus gravement.
Libanius, avant de répondre, sourit, en jetant devant lui et sans regarder aucun de nous, un regard d’une extrême finesse, qu’animait un feu jeune et vif avec une pénétration exquise ; — il me paraît avoir ainsi tout à coup une chaîne d’idées ; puis il la connaît, la sait et la dit ; — tandis qu’on brûlait devant lui une cassolette dont il ramenait l’encens sur sa barbe avec l’une de ses mains, il se retourna vers Jean Chrysostome et lui répondit :
— Ne crois pas, mon cher Jean, que Julien ait trompé per-