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Page:Revue de Paris - 1912 - tome 4.djvu/363

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tout à coup il s’arrêta et me poussa le coude. Je le regardai : il regardait devant lui à l’entrée de la tente en mettant sa main devant la lampe qui paru l’éblouir.

— Ne vois-tu rien ? — me dit-il.

— Non, — dis-je, — je ne vois rien.

— Tais-toi, — dit-il en continuant de regarder, — et écoute.

Je n’entendis rien, mais lui il entendait, car il se leva et salua profondément vers l’entrée de la tente qui s’agita un peu. Il dit comme répondant à quelqu’un :

— Eh bien ! soit !

Ensuite il s’assit avec calme et me dit :

— Tu n’as rien entendu ?

— Rien, absolument, — dis-je.

— Eh bien ! donc, c’est qu’il n’y avait rien apparemment. Continuons d’écrire, — et il reprit son stylet. Je le regardai et je trouvai qu’il était plus pâle, mais ses yeux hardis me commandèrent de baisser les miens, et je poursuivis.

Lorsque nous eûmes achevé, il se recoucha par terre, sur sa peau de lion, et dormit profondément. Au jour il fit venir les aruspices qui déclarèrent qu’on ne devait pas combattre, mais il n’en tint compte. Au lever du soleil, il sacrifia sur une colline, l’armée étant rangée alentour dans l’ordre de bataille qu’il avait tracé. Il alluma le feu de l’autel pour signal du combat, et monta à cheval à l’instant. J’étais près de lui. Il était un peu souffrant d’une blessure reçue quelques jours avant.

La chaleur était ardente. Il avait jeté sa cuirasse et ne portait qu’un bouclier très léger. Nous marchions par colonnes et les cohortes séparées par les triaires, les archers protégeant les flancs des légions. Les Barbares ne tinrent nulle part de pied ferme, mais ils ne cessaient de nous suivre en troupes innombrables de cavaliers, tirant sur nous et nous tuant beaucoup d’hommes sans que l’on pût leur répondre. Un de leurs corps d’infanterie voulut résister et Julien en eut une grande joie ; nous courûmes au pied de la montagne nommée, je ne sais pourquoi, Phrygie, où le combat se livrait. L’Empereur mit pied-à terre avec moi et se tint derrière les premiers rangs des oplites. Un corps de Gaulois les soutenait. Tandis que l’on échangeait des flèches et des traits d’arbalètes, les soldats chantaient l’air du Soleil-Roi et de César socratique. Plusieurs hommes tombèrent autour de nous. Julien me prit le bras et me conduisit près d’eux. Il tendit la main à un centurion qui était tombé à genoux. Ce vieux vétéran évocat lui baisa la main en criant : « Auguste, prends garde à toi, fuis ! » et tombant en arrière, mourut. « Il n’adore pas, » dit Julien. — Alors il s’avança vers un jeune