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Après un instant de silence : « Tu porteras mon cœur à Daphné, et tu diras à Libanius qu’il ne s’est pas trompé. Maintenant ouvre ma tente. » Alors entrèrent les médecins. Julien leur dit que leurs soins étaient inutiles. Il parla de l’immortalité de l’âme avec Priscus, Maxime et moi, et après avoir discouru comme Socrate, il a arraché le javelot, et est mort comme Epaminondas.

Libanius, après avoir achevé cette lettre qu’il me donna, demeura ainsi que nous tous plongé dans un silence profond. Il fut contraint de s’asseoir parce que ses genoux tremblaient. Comme ses yeux étaient fermés et répandaient quelques larmes, je craignis pour lui et m’avançai pour le soutenir, mais il me fit signe de m’éloigner. :

— Voici la réponse de Julien, — dit-il : — il a senti que mes yeux, tout vieux qu’ils soient, avaient vu la lumière véritable. Il ne lui était plus possible de se laisser entraîner sans honte par ce torrent chrétien qu’il avait fait reculer, il s’est retranché lui-même comme on détruit une digue dont l’usage est reconnu pernicieux après une épreuve. Je vivrai pour défendre sa mémoire ; et je mourrai dans le culte extérieur des Dieux, qui est vieux comme moi et qui donne encore des pénates à la moitié du monde. Pour vous, Jean et Basile, soyez chrétiens.

Jean Chrysostôme s’inclina et dit :

— Ô maître, je serai chrétien.

— Je le suis déjà, — dit Basile en rougissant légèrement.

En même temps chacun d’eux baisa l’une des mains tremblantes de Libanius, et comme je sentais que je ne devais plus être témoin de leur douleur et que je ne pouvais parler comme eux de ces idolâtries desquelles Moïse nous a préservés, je les laissai et me retirai timidement derrière les colonnes du vestibule, ne pouvant m’empêcher de regarder comme plus grands que des hommes ces glorieux amis, dociles comme des enfants à la voix de leur éloquent et paternel instituteur, et forts comme des géants contre les cris des hommes vulgaires.

Je marchais depuis quelque temps sous les cyprès lorsque tout d’un coup j’entendis des chants lointains que je reconnus pour ceux des Chrétiens. C’étaient des voix d’enfants qui s’élevaient en chœur, et puis de longs silences, puis, après, de fortes voix d’hommes basses et sombres comme devaient être les voix des cadavres ranimés dont Ézéchiel entendit les secrets