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jeunes, mais notre vie ne sera peut-être pas assez longue pour réparer le mal qu’il me semble avoir fait ; où donc est Libanius ?

Ils allaient s’éloigner, lorsque la voix de notre vieux maître retentit près de moi. Je me sentis prendre la tête dans ses deux mains qui tremblaient.

— Viens ici, Jean, — cria-t-il, — te voilà donc revenu du désert, enfin, et Basile te ramène. Venez, vous ne serez pas seuls, car voilà un étranger, qui est aussi un de mes enfants.

Je me levai à demi d’abord et sur mes genoux, pour lui baiser les mains ; puis, me tenant debout près de lui, j’appuyai son bras sur mon épaule et le conduisis, en le soutenant, jusqu’à la salle des repas où il voulait recevoir ses deux amis et moi.

Lorsque nous arrivâmes aux flambeaux, je fus frappé du changement de ce visage si connu de moi dans l’enfance ; et tandis que ses deux disciples le saluaient avec une vénération profonde, je considérais tristement son front plus courbé et plus chargé de rides, sa taille plus voûtée, sa démarche plus lente et plus pénible, sa voix moins assurée, ses joues sans couleurs, ses yeux rouges, à demi fermés, et dont les regards incertains distinguaient avec peine les traits des personnages les plus proches de lui.

Libanius[1] accueillit avec une bonté paternelle les deux jeunes gens qui venaient souper avec lui et qui, à mon aspect, devinrent froids et réservés d’abord, mais restèrent toutefois remplis, dans leurs manières, de cette politesse d’Athènes et de Byzance que nous autres Hébreux saurions mal imiter. Le premier et le plus jeune des deux amis, qui me parut le plus tendrement aimé de Libanius, se nomme Jean. Il prit place sur le lit le plus élevé de la table. Il est d’une famille patricienne

  1. Libanius, célèbre rhéteur grec, né à Antioche en 314, enseigna avec un grand succès dans les écoles de Constantinople, de Nicomédie, d’Antioche, et compta, quoique païen, saint Jean Chrysostome et saint Basile au nombre de ses disciples. Il mourut à Antioche vers 390.