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Page:Revue de Paris - 1913 - tome 5.djvu/232

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LA REVUE DE PARIS

sombres comme ceux des Italiennes, la clarté de la flamme brillait de temps en temps.

— Alors, la vie était bonne partout ; — elle allongeait mollement les mots croates — à présent le sort est partout mauvais.

Elle soupira, passa lentement ses deux mains sur son visage, comme si ses doigts s’étaient accrochés à chaque ride.

— Mauvais !… très mauvais !

Elles se turent encore longtemps. Le torrent grondait derrière la chaumière et les cordelettes se froissaient dans le giron de la femme.

— Et moi, je suis née là-bas, chez toi ?

La femme fit un signe d’assentiment.

— Et nous demeurions, là-bas aussi, au bout du village ?

— Au bord de la mer…

La fille posa sur la table le pot au lait. Elle s’assit près de l’âtre, sur le petit banc.

— Au bord de la mer ? Là où tu vas vendre les filets ?

La réponse se faisant attendre, elle appuya son menton contre la paume de sa main.

— Mère !…

La femme sursauta.

— Non !… plus loin, bien plus loin !…

Pensive, la fille plongea son regard au creux de l’âtre noir de suie où la clarté de la flamme oscillait lentement, çà et là.

— Comment est cette mer ?

— Grande, profonde aussi, fit la femme, en décrivant plutôt par le geste que par les mots.

— Plus profonde que les crevasses ? Plus grande que le champ de pierres ?

Jella haussa les genoux jusqu’à son menton.

— Était-ce là où de grands filets séchaient au vent sur deux piquets ?

La femme soupira.

— Tu ne te souviens donc pas de la mer ?

La fille secoua la tête et son cou se raidit soudain, comme si elle avait aperçu la chose qu’elle cherchait :

— Attends !… Je me souviens d’un coquillage. Il reposait sur le sable, et l’eau vint le prendre et l’emporta. Je me