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AU PAYS DES PIERRES

le visage d’un courant frais. Le soleil étincelait dans les flaques et sur les toits salis par l’eau. La vallée n’était qu’une seule grande tache brillante, et Jella crut un instant que ce qui venait d’arriver n’était peut-être qu’illusion. Elle leva peureusement les yeux.

Devant elle, sur la minuscule place inondée qui encerclait la vieille église d’un petit rempart mangé par l’herbe, les gens se tenaient comme s’ils attendaient encore quelque chose. Personne ne bougeait, personne ne parlait, mais dans ce mutisme se dégageaient les impulsions d’une volonté inconsciente.

Le silence devint pesant et les hommes se comprirent. Jella frémit. Le forgeron se tourna vers elle.

En arrière on voyait des chapeaux ronds, les pointes du mouchoir du fossoyeur, des têtes huilées, luisantes. Il n’y avait là que des visages connus, et cependant comme les regards étaient hostilement étrangers ! Et Davorin feignait de ne pas reconnaître ces deux femmes. Au lieu d’aller vers elles, du bout de son bâton, il arrachait les mauvaises herbes, entre les pierres.

Jella jeta sur sa mère un regard désespéré. « — Pourquoi ne parlez-vous pas ? Pourquoi restez-vous là ? » Mais Giacinta se taisait, raidie. Ses yeux se figeaient dans l’air avec épouvante comme si elle demandait pourquoi on lui faisait du mal, précisément à cette minute, après tant d’années, quand tout était fini, quand elle était vieille…

Une paysanne la menaça en passant. Slatka lui cria, avec la haine de l’ancienne rancune :

— Traînée !

Le silence se rompit. Les hommes commencèrent à parler avec animation.

Voix confuses… Quelqu’un jura.

Jella se rappela soudain ce qu’elle avait entendu, la veille, sur la montagne. Il lui sembla que son sang charriait dans son corps de petites pointes brûlantes, et les pointes piquaient et brûlaient la peau de son visage. Là, près d’elle, sa mère devenait toujours plus pâle. On voyait qu’elle aurait voulu dire quelque chose, mais elle ne trouvait pas de mots dans sa pauvre tête. Pourtant elle le savait maintenant, celles qui la