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AU PAYS DES PIERRES

sées, qu’elles s’étaient fondues, qu’elles venaient à Jella au-dessus des sapins, comme si elles voulaient pénétrer en elle, à travers ses yeux. Et alors, comme elle était étendue, collée à la terre, il lui parut que son cœur ne battait pas dans sa poitrine, mais plus bas et plus profond, parmi les pierres ; il lui parut que son sang chassait les pulsations des petites sources dans la mousse ; que sa respiration agitait lentement, lentement, dans la clairière, l’herbe des montagnes…

C’était une grande rencontre muette, une union mystérieuse. Et à partir de ce jour Jella sut, d’une façon certaine, qu’elle et les montagnes s’appartenaient réciproquement.



VII


La route profonde était tellement rétrécie entre les vieux murs de l’église et le talus, qu’un seul homme y pouvait passer de front. La nuit tombait. On ne voyait plus les pierres sur le sol, Jella rentrait chez elle, Davorin sortait de l’atelier. Il s’arrêta un instant, puis fit un pas en avant et prit dans sa main le menton de la fille. Il la força crûment à se tourner vers lui.

— Regarde-moi donc enfin !

Sa voix voulait être suppliante, mais son geste était dur et impérieux.

Le sang de Jella reflua lentement au cœur. Ils s’étaient rencontrés si fortuitement ! Cela lui semblait si bon ! Il y avait donc encore au monde quelqu’un qui voulait regarder dans ses yeux ?… Elle éprouva soudain une fatigue dans les genoux, comme si on l’arrêtait pendant une grande course solitaire. La poitrine de Davorin était large, et elle aurait voulu pleurer tout son saoul sur la poitrine de quelqu’un. Mais pourtant, d’instinct, elle se retira un peu.

Le gars lui saisit la taille avec impatience :

— Tu ne me veux donc pas ?

La fille recula en entendant cette voix enrouée, la même voix qui l’avait fait frémir l’autre soir.

— Tu ne me veux donc pas ?