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LA REVUE DE PARIS

À sa voix, plusieurs têtes suantes et somnolentes, se dressèrent dans l’herbe.

Branco eut un rire antipathique :

— Tu es belle, ma Jellitza !

Au nom de Jella, une autre chemise blanche parut derrière le tronc coupé. C’était Davorin. Il regarda devant lui, pendant un moment, d’un air hébété. Il se mit à déchiqueter l’herbe, entre ses deux jambes allongées.

La fille ne le vit pas. Elle arracha le bout de sa jupe des mains du long bûcheron et elle continua de marcher. Dans le mouvement, sa blouse se collait à ses épaules ; sous ses cheveux noirs brillants, son cou brûlé par le soleil se penchait de côté. Les gars suivirent du regard l’ondulation de son corps. Branco et les douviers se levèrent d’un saut. Davorin s’étira.

Dans la chaleur étouffante, l’air tremblait au-dessus de la clairière ; l’âcre odeur de la fertilité se dégageait de la terre brûlante. L’éclat du soleil fit monter le sang à la tête des gars. La fille était pour eux si étrangère, si nouvelle, là, au milieu des forêts, sa démarche était plus légère, son corps plus libre, et elle portait la tête plus haute, comme si elle regardait toujours les sommets.

Jella, sans y prêter attention, entendit qu’on parlait derrière elle, mais lorsque tout à coup, le silence se fit, comme si on avait coupé avec un couteau le brouhaha des voix, elle se retourna avec inquiétude. Dans ce mouvement, la petite jupe déchirée s’enroula autour de ses jambes.

Les gars se tenaient groupés sous un arbre desséché. Tous la regardaient. Alors seulement, elle vit qu’ils étaient nombreux : cinq, peut-être même six, et c’est alors aussi qu’elle aperçut parmi eux Davorin. Instinctivement, elle abaissa sur ses hanches la jupe relevée.

Le cou de Davorin était rouge, les veines gonflées ; sous ses yeux, deux taches crues ardaient, comme brûlées de sang.

Jella le contempla, engourdie, puis se tourna vers les gars, mais des yeux semblables à ceux de Davorin la fixaient terriblement, dans ces faces changées qui exprimaient le terrible droit de la force bestiale. Jella pâlit. Soudain elle comprit tout. Ses yeux s’élargirent et se remplirent d’épouvante,