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Page:Revue de Paris - 1913 - tome 5.djvu/260

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LA REVUE DE PARIS

Les gars hurlaient, menaçants derrière elle. Les pierres croulaient.

Elle atteignit la tranchée. C’est à peine si la pointe du sapin renversé touchait l’autre bord. Le vent secouait mystérieusement les branches mortes, pendant dans le gouffre.

On entendait déjà les clameurs des garçons. La tête de Davorin émergea de l’escarpement. Soudain, tous s’arrêtèrent pétrifiés.

Jella se penchait en avant, s’étendait sur l’arbre roussi et les yeux ouverts, rampait lentement au-dessus de la mort… Le sapin craqua ; il se courba un instant, comme pour laisser la fille choir dans l’abîme. Mais déjà, elle était debout, de l’autre côté, et avec une force décuplée par l’instinct de la conservation, elle repoussa le sapin. L’extrémité de l’arbre se rompit ; il roula du bord du précipice et tomba entre les murs de rocs, les éraflant, dans un long fracas qui s’éloignait… Au fond du gouffre, il y eut un éclaboussement. Le grondement sourd des eaux souterraines recommença dans l’invisible profondeur.

Jella releva la tête. Personne ne pouvait la suivre sur le sapin brisé. Elle regarda l’autre rive, les poings serrés, déchirée, en haillons, sauvagement. Les pulsations de son sang l’assourdissaient. On aurait dit que des bulles éclataient dans ses yeux. Du cou aux hanches, tout son corps tremblait. Éperdument, elle se remit à courir.

Alors seulement, les gars se ressaisirent. Dans leur rage honteuse, impuissante, ils lancèrent des pierres à la fille. Des hurlements furibonds se mêlèrent au grondement mystérieux du gouffre, et les rochers vierges répétèrent des mots infâmes, orduriers. Puis, comme si la nature avait tout oublié, soudain, le silence vaste et pur…

Jella atteignait une forêt inconnue. La couche des aiguilles de sapins s’étendait, molle, sous les arbres géants, telle qu’un gazon roux écrasé. La mousse avait poussé sur le côté des troncs exposés au nord. Le soleil s’allongeait sur le sol en rayons d’or obliques ; l’ombre des oiseaux traversait paisiblement son éclat. La fille s’arrêta. Si profond était l’infini silence, qu’elle percevait le léger bruit de la gomme glissant sur l’écorce des arbres. Elle aspirait, l’âme troublée, les