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LA REVUE DE PARIS

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas. Je l’ai cru. Cyrille ! ça t’irait.

— Je m’appelle Pierre Balog : le vieux Pierre.

— Vieux ?

— Il y a vingt-deux ans que je sers ici. C’est moi qui ai planté ce grand pommier là-bas. Et toi comment t’appelle-t-on ?

— Jella.

— Jella, — répéta l’homme, lentement, comme s’il voulait bien graver ce nom dans sa mémoire.

En parlant, il prit une montre dans la poche de son pantalon. C’était une grossière montre d’argent, attachée à une ficelle et enfermée dans un petit sac de cuir usé. La fille la contempla avec respect :

— Comme tu es riche ! Ta maison aussi est belle. Tu as peut-être une vache.

— Deux.

— Et des chèvres ?

— Trois.

Jella pressa ses mains réunies :

— Tu es riche !

L’homme sourit étrangement et jeta un coup d’œil sur sa montre.

— Je dois retourner. Le train…

Jella devint curieuse :

— Il vient ?… Et où va-t-il ensuite, ton train ?

— En bas, à la mer.

— À la mer !

La fille se ressouvint de Giacinta. Puisque le train allait du côté où était Giacinta, elle aurait voulu le voir.

— Je reviendrai, — dit-elle, lorsqu’ils se séparèrent.

Jella erra longtemps dans la forêt jusqu’à ce qu’elle eût contourné la grande crevasse. Aux environs du taillis, elle retrouva ses chèvres.

L’obscurité des sommets tombait déjà sur les deux versants. L’ombre des bois coupés, mis en tas, s’allongeait sur la terre. Une cendre molle et grise couvrait les arbres, comblait le vallon. Quand la fille aperçut, dans la profondeur, la blancheur tamisée du village, son âme se durcit soudain.