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AU PAYS DES PIERRES

Pierre se rejeta en arrière et serra les dents. La tige de la pipe craqua dans sa bouche.

Lorsqu’ils arrivèrent à la forêt, ils s’arrêtèrent. Jella cassa, près d’elle, un morceau de l’écorce du vieux sapin et le lança distraitement en l’air. Puis elle rit en boudant :

— Demain non plus, je ne reviendrai pas.

Elle aurait voulu se faire prier.

— Ne reviens pas ! — dit sourdement l’homme.

La fille le regarda, stupéfaite. Mais la figure de Pierre demeura grave et raide ; seule, la bouche tremblait.

— Qu’est-ce qui te prend ?

La demande demeura sans réponse. Une colère mutine gagna Jella, comme si on l’avait outragée.

— Alors, je ne dois jamais plus revenir ?

— Jamais ! — répliqua l’homme avec désespoir.

Il aurait voulu dire autre chose ; mais ce seul mot lui était venu à l’esprit ; il étendit la main, effrayé, comme s’il avait voulu le saisir pour le reprendre. Jella le repoussa impitoyablement. Puis elle partit sans se retourner.

Pierre resta debout, les yeux secs, immobile, sous le vieux sapin dont l’écorce montrait la plaie que la fille avait faite d’une main inconsciente. L’aspect de l’homme ne révélait rien de la blessure secrète…

Le vent sifflait sur les fils télégraphiques et du côté de la maison de garde il chassait dans le vide le son du timbre avertisseur.

Jella s’assit sur une pierre et secoua tristement la tête. Elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer, mais elle s’en étonnait à peine. Depuis longtemps, elle était accoutumée à l’imprévu. Tout est si incompréhensible : les hommes, la vie aussi…

De nouveau, elle se sentit seule au monde.



X


Le jour suivant, elle se mit en route, à la recherche de son père. Peut-être pourrait-il savoir quelque chose de sa Giacinta.