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AU PAYS DES PIERRES

— Toi !… Que cherches-tu ici ?

La fille ne comprenait plus les raisons qui l’avaient poussée dans sa course, pour arriver là… Son cœur était lourd et hostile. Et tandis que dans son cerveau, les pensées involontaires recherchaient une impression effacée dont elle ne pouvait se ressouvenir, son regard était constamment tourné vers la cahute.

Elle traversa les buissons et dit d’une voix étouffée, avec un vain espoir :

— Je cherche la mère…

Jovan Zura jura de nouveau. Jella devina que sa mère n’était pas là. Ses deux mains s’ouvrirent dans l’air, comme si elle avait laissé tomber son dernier morceau de pain.

On entendit dans la cahute un tintement singulier. La fille se redressa soudain. Elle allongea la tête, et avant que son père eût pu l’en empêcher, elle franchit d’un saut le seuil.

— Mère ! — s’écria-t-elle avec la voix d’un enfant devant lequel on s’est caché en vain. — Je savais…

Elle s’arrêta toute effarée. Dans l’obscurité d’un angle, un corps paresseux et gras bougeait. Ce n’était pas sa mère. C’était une femme inconnue. Elles se regardèrent muettes, provocantes, jusqu’à ce que Jovan se fût mis entre elles eux. Il chuchota quelque chose à la femme qui rit effrontément. Les yeux de Jella se remplirent de larmes. Elle se souvint que son père battait sa mère et qu’elle se cachait au grenier, n’ayant pas la force de supporter ce spectacle. Est-ce qu’il allait battre cette femme, elle aussi ? Jella aurait voulu voir… Le dos de l’étrangère était mou ; ses hanches tremblotaient quand elle remuait… « On peut bien la battre, pensa-t-elle, longtemps, avec le poing. »

Joyau ne regarda pas sa fille quand il se retourna. Troublé, il courba la tête, et s’assit de nouveau sur le seuil. C’est de là qu’il dit par-dessus l’épaule :

— As-tu faim ?

Jella se dressa en face de son père.

L’homme grogna de mauvaise humeur :

— Qu’as-tu à me regarder ainsi ? Je ne peux pas vivre ainsi toujours sans femme, dans la forêt !

Sa voix était telle qu’un grincement de scie…