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AU PAYS DES PIERRES

curé. L’odeur du plancher fraîchement lavé s’élevait dans la chaleur imprégnée de fumée de pipe. Le curé regarda Jella avec malveillance, par-dessus son journal.

— Tu aurais dû venir plus tôt.

— Bon Dieu ! mais je ne savais pas…

— Ta mère est morte comme elle a vécu, sans la grâce du Seigneur…

Le curé se mit à balancer lentement sa jambe croisée, comme s’il sonnait la cloche, tout en contemplant ses grossiers souliers éculés. « Il faut en acheter d’autres », pensa-t-il, et il devint de mauvaise humeur. Il interpella Jella avec sévérité, comme si elle était cause que la chaussure fût trouée

— Il faut payer pour l’enterrement !

La fille poussa un soupir :

— Alors, je vais vendre la chèvre de ma mère.

Et pendant qu’elle parlait, elle serrait contre elle, d’un air las, les deux opanka que le fossoyeur lui avait donnés.

— Je prierai pour ta mère — murmura le curé, d’une voix de commerçant, et il continua à lire le journal.



XV


En bas, dans l’église, la cloche sonnait midi. Franjo vint dans la maison de Giacinta. Jella était assise à la fenêtre. Elle regardait avec indifférence la pluie tomber goutte à goutte dans la chambre, à travers le toit. Autour d’elle tout traînait en désordre, comme la veille au soir. Une petite fleur d’automne se flétrissait sur la paillasse à côté de la tête de la morte. La chèvre bêlait dans un coin.

Franjo s’approchait du triste lit grisâtre, avec une lourde prudence. Il s’arrêta, saisi de respect, et se mit à faire tourner lentement son chapeau détrempé. Jella continua de contempler les gouttes qui s’écrasaient sourdement. Le tonnelier courba le dos. Il racla son gosier, puis il mesura la morte avec une ficelle, tout en poussant plus près de sa tête, à la dérobée, les fleurs flétries.

— J’apporterai le cercueil, — grogna-t-il en s’en allant.

Toute la journée, on entendit dans le village ses coups de