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LA REVUE DE PARIS

un étranger. La femme, les arbres, les pierres !… Il pensa si fortement à son village, que Jella sentit sa pensée.

Elle soupira :

— Alors, c’est pour cela que tu es toujours si triste ?

Le gars fit avec sa tête un mouvement, comme s’il avait voulu arracher son regard d’un lointain infini.

— Tes yeux sont si tristes, parce que tu désires partir d’ici ?

André ne répondit pas.

— Et puis, dis donc !… — la femme parlait bas ; elle-même n’entendait presque pas sa propre voix — Aimais-tu là-bas les filles ?

Le gars leva une seconde la main, d’un geste de bravade ; il voulut répondre mais se troubla et soudain marcha plus vite, comme pour abréger l’occasion de parler.

Jella ne fit pas attention à lui. Elle fouillait les arbres des yeux. Elle voulait voir là-bas, au loin, là où était la pensée de l’autre.

— Alors, les filles sont belles là-bas ?

— Belles.

Il répondait brièvement, comme celui qui a peur de dire trop avec un seul mot.

Jella s’arrêta émue :

— Elles sont belles ?…

Contre sa volonté, elle demanda :

— Plus belles que moi ?

Son corps se pencha dangereusement en arrière, provocant, et dans ses paroles, dans ses mouvements, il y avait la magnifique sauvagerie du cri, du coup d’aile, qui servent d’appel aux couples d’oiseaux dans les forêts.

Le gars releva brusquement la tête. La femme, les rochers, les arbres, se fondirent incompréhensiblement dans ses yeux, et à cet instant, il vit la beauté de Jella. Sa pupille s’assombrit, sa bouche frémit, puis il détourna son visage avec un lent effort, comme si cela lui pesait.

Ils ne se regardèrent plus. Ils continuèrent de marcher sans parler, mais dans le grand silence de la forêt, ils sentirent qu’il y avait eu quelque chose entre eux.