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défauts que les qualités des autres. Je t’accepte, je t’ai et tu m’as aussi, car je n’ai rien conservé de-moi-même, et ma vie, et ma pensée, et mes croyances, et mes actions, j’ai tout soumis à toi. J’ai tout subordonné à ton plaisir, car je t’ai choisi avec la pensée que tu devais être tout pour moi, et je me sens tellement inoculé cette pensée que je n’ai plus de pensée qui me soit propre. Tu peux m’égarer, tu peux me perdre, tu peux me conduire à la mort et à l’infamie. Le monde n’existe plus pour moi. La morale et la philosophie n’ont plus de sens. Il n’y a de raison que ton instinct, il n’y a de vérité que mon amour. Il n’y a d’avenir et de but que dans le tien. Bonheur, malheur, qu’importe. J’accepte tous les maux, je subirais toutes les tortures. Je me glorifierais de toutes les abjections, pourvu que je puisse adoucir pour toi l’amertume de la vie et déposer la mienne dans ton sein.

Non. Non, Piffoël ! Docteur en psychologie, tu n’es qu’un sot. Ce n’est pas là le langage que l’homme veut entendre. Il méprise parfaitement le dévouement, car il croit que le dévouement lui est naturellement acquis, par le seul fait d’être sorti du ventre de madame sa mère. Il méprise l’ascendant qu’il exerce sur son semblable, parce qu’il s’attribue une puissance d’intelligence et de volonté qui rend impossible toute indépendance d’esprit et de conscience autour de lui. Il méprise son semblable à proportion de la bonté, du sacrifice, de l’abnégation et de la miséricorde qu’il trouve en lui. Dominer, posséder, absorber, ne sont que les conditions auxquelles il consent à être, à être adoré comme un Dieu, c’est-à-dire trompé, bafoué, adulé…

L’homme se sait nécessaire à la femme.

Il a trop d’imbécile confiance et, soit cupidité, soit galanterie, soit vanité, la plupart des femmes sont trop intéressées dans leur amour pour qu’il ne s’arroge pas un pouvoir despotique sur elles, dans l’amour, comme dans la haine.

La femme n’a qu’un moyen d’alléger son joug et de conserver son tyran, quand son tyran lui est nécessaire. C’est de le flatter bassement ; sa soumission, sa fidélité, son dévouement, ses soins, n’ont aucun prix aux yeux de l’homme, sans tout cela, selon lui, il ne daignerait pas se charger d’elle. Il faut qu’elle se prosterne et lui dise : Tu es grand, sublime, incompa-