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ténèbres. Au bout de la terrasse elle était à peine visible, puis elle se perdait tout à fait dans les sapins et reparaissait tout à coup dans le rayon de la lampe comme une création spontanée de la flamme. Puis elle s’effaçait encore et flottait indécise et bleuâtre sur la clairière. Enfin, elle vint s’asseoir sur une branche flexible qui ne plia pas plus que si elle eut porté un fantôme. Alors la musique cessa, comme si un lien mystérieux eût rattaché la vie des sons à la vie de cette belle femme pâle qui semblait prête à s’envoler vers les régions de l’intarissable harmonie.

Elle se leva, glissa par un inexplicable mouvement d’ascension vers le haut du perron et disparut dans la salle ténébreuse. Un instant après, nous vîmes une vraie châtelaine du moyen âge traverser la salle voisine à la clarté des flambeaux. La chevelure blonde rayonnait comme une auréole d’or et son voile blanc, jeté sur ses épaules, voltigeait comme un nuage dans le mouvement rapide et léger de sa démarche impérieuse. Les doigts errant sur le piano firent silence, les flambeaux s’éteignirent et la vision rentra dans la nuit.

Jusqu’au 20. Rien. Deux beaux orages, temps moins chaud. Clair de lune admirable, courses du soir à cheval avec ma sœur[1], irrésistible désir de laisser couler ma vie sans rien constater, comme une onde paresseuse, inconsciente de son mouvement.

Mon ami Piffoël, inconsciente n’est pas français. Mon bon ami, qu’est-ce que cela peut me faire, je vous prie ?


20 juin.

La meilleure éducation, la seule efficiente, disait, l’autre soir, Rollinat, c’est l’insufflation. Je dis qu’en ce cas l’éducation privée est détestable dans les familles tarées, livrées à de mauvaises mœurs et imbues de mauvais principes. Le détestable régime du collège vaut mieux.

Mais, dans les familles honnêtes et tranquilles, ce serait un devoir de garder les enfants et de ne pas leur faire apprendre la vie dans un collège où l’égalité ne règne qu’à coups de poings, où la discipline est abrutissante, où l’autorité est brutale, puérile et bornée — sans parler des vices qui règnent dans

  1. Sans doute madame d’Agoult à laquelle elle donne ce nom.