celles qu’il avait connues à la vieille dame, du temps où elle habitait place du Marché-Pauvre. Pourquoi cette misère ? Probablement parce qu’elle ne s’en souciait pas, sa vie sentimentale se concentrant toute, à présent, dans le petit verre de schnaps qu’elle avait toujours aimé. Lourde, rhumatisante, elle préparait le café du matin et buvait une gorgée tous les quarts d’heure, allant, pour cela, jusqu’à la chambre à provisions, où elle dissimulait son eau-de-vie.
— Madame Charlotte ! — fit, tout à coup, Adrien, — pourquoi ne gardez-vous pas la bouteille près de vous ? Auriez-vous peur de votre fille ?
Devant cette énormité, échappée à son fils, la mère Zoïtza poussa un cri d’horreur, mais madame Charlotte alla prendre la tête d’Adrien, lui baisant le front :
— Tu as toujours été brave. C’est toi qui me chercheras, à l’avenir, mon schnaps, n’est-ce pas ?
— Sûrement. Et du meilleur que celui-ci.
— Hé ! Tu es bon. Nous verrons si tu parviendras à arracher à Anna assez de sous, pour en acheter. Tu ne sais pas ce qu’elle est devenue avare, Anna, depuis qu’elle a des sous.
Adrien voulut répondre, mais la servante entra, et il pensa alors à tout autre chose. Il vit la première jupe propre de la maison, une Hongroise de vingt ans, jolie, grassouillette, la chair blanche et débordant de partout, dans sa toilette sommaire du matin. Elle rougit fortement, à la vue de ce garçon, du même âge qu’elle, couvrit ses grands seins et dit, pour dire quelque chose :
— Voilà. La salle à manger est prête. Les patrons n’ont qu’à se lever.
Puis, pour vaincre la timidité que lui causait la présence inattendue du jeune homme, elle dit à la mère d’Adrien, qu’elle connaissait bien :
— C’est votre fils, mère Zoïtza ? Ma foi, c’est un beau gars ! Je vais en faire mon fiancé.
La bonne mère fut flattée d’entendre confirmer à nouveau que son fils était « un beau gars », mais elle répondit par une grimace à l’idée de le voir épouser une servante. Bon pour les Allemands riches, ces coups de tête-là ! Mais son Adrien devait