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— Frères, — disait le père Stéphane, — je vous ai appelé dans cette maison, qui est la vôtre, parce que c’est la nécessité qui nous pousse. Tant que nous sommes sur la terre, il y a la vie, il y a la maladie, il y a la mort. Il y a aussi les enfants. Nous devons veiller à tout. Vous achetez toujours du bois humide et cher. Pourquoi n’aurions-nous pas notre médecin et notre bois, à nous ? Lorsqu’on en achète par wagon, on est beaucoup mieux servi. Même le pharmacien se moque de nous, avec ses prix excessifs. Et tout cela, parce que nous ne sommes pas solidaires. Voici votre comité et les registres de cinquante personnes. Pour dix francs par semaine, pendant deux mois, et pour cinquante centimes en plus par semaine, vous devenez « coopérateurs pour le bois et membres, avec toute votre famille, contre la maladie ». Ainsi, vous aurez chaud en hiver et le docteur sera à votre disposition avec tous les médicaments. Car les enfants, qui sont presque toujours malades, c’est Dieu qui nous les donne, mais nous n’y pouvons rien, c’est pourquoi il y a la science.

— Et les élévateurs ? — cria une voix.

— Eh bien, les élévateurs, ça c’est le progrès des négociants en céréales qui trouvent que c’est moins cher ainsi.

La même voix interrompit, hurlant fort :

— Et nous, nous trouvons qu’il faudra les noyer dans le Danube, lorsqu’ils arriveront.

— Oui, à l’eau ! à l’eau ! — vociféra toute la salle.

Le père Stéphane, l’air très malheureux, regarda par-dessus les têtes pour découvrir Adrien et lui passer la parole, car il ne savait que dire au sujet des élévateurs. Il ne vit pas Adrien, qui, flanqué d’Avramaki, se cachait au fond de la salle. Ils attendaient, pouffant de rire, que le vieux en finît avec la maladie, le bois et l’aspersion.

— Voilà le prêtre ! — s’écria le limonadier, sauvé. — Laissez passer le prêtre ! Et vous allez jurer tout de suite, sur le saint Évangile, que vous renoncerez au couteau et vous contenterez du canif !

Le pope, très jeune, s’avança fièrement vers la table couverte d’une nappe blanche qu’on lui avait préparée.

— Pardon, camarade, — lança brusquement Avramaki, — je demande la parole au sujet des élévateurs.