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syndicalistes peu nombreux et on comptait sur le classique moyen de l’intimidation. On se heurta à une masse de deux mille hommes qui, à la première menace, s’emparèrent de la plupart des postes de travail, déclarant qu’on ne les délogerait que morts.

Ce conflit ne dura qu’une heure, le temps nécessaire aux armateurs pour sauter de leurs lits, réveillés par les téléphones du port, et pour communiquer au préfet de police que la moindre défaillance survenue à la bonne marche du travail leur causerait, dans les conditions actuelles, des pertes considérables. Les vatafs durent céder, furieux, mais avant que midi eût sonné, ils tentèrent de prendre leur revanche en recourant cette fois au moyen tout aussi classique de la provocation. Ils soûlèrent leurs créatures et stipendièrent toute la racaille policière, donnant le mot d’ordre de provoquer tout le jour tant de bagarres sanglantes que l’activité du port en serait arrêtée. Ils ne réussirent à provoquer que des escarmouches insignifiantes, car les syndicalistes étaient prévenus par Avramaki de ce qui allait se passer, et, de son côté, le préfet avait donné des ordres sévères aux inspecteurs de police pour arrêter tout homme ivre qui chercherait à faire du scandale. Ainsi, au lieu de « mauvaises têtes syndicalistes », on dut, bon gré mal gré, conduire au cachot les « bras droits » des vatafs.

Les jours suivants, le mardi et le mercredi, furent décisifs pour l’avenir du mouvement dans le port. Certes, les hautes autorités locales mirent toute leur bonne volonté à découvrir des « meneurs », des « chefs socialistes », et se trouvèrent bien contrariées de n’en pas surprendre un seul en flagrant délit de propagande « subversive » parmi les équipes au travail. La raison de cette absence de chefs était bien simple, les deux promoteurs du mouvement étant, l’un occupé à vendre du bois, l’autre à réparer des savates. Il ne restait aux ouvriers qu’à s’en tirer tout seuls, et ils le firent avec un instinct de conservation unique dans les annales du socialisme roumain.

Du jour au lendemain, des milliers d’hommes comprirent que leur sort et celui de leurs enfants dépendaient, devant la menace des élévateurs, de la promptitude qu’ils mettraient à rompre, ne fût-ce que momentanément, avec un passé de débauche, de violences et de nuisibles rivalités, causes de