C’étaient deux jeunes et vigoureuses pousses issues du terroir, le lendemain de la mort pitoyable du frêle arbre exotique qu’était le parti socialiste doctoral, desséché faute de fumier indigène. Cristin, longue perche, à peine sorti de l’adolescence, avait un débit facile émaillé de coq-à-l’âne, mais dont la violence sentimentale soulevait les masses. On le faisait toujours parler le premier, afin de pouvoir, après lui, tempérer l’enthousiasme agressif de l’auditoire et écarter le risque d’un assaut aux barricades dont l’imberbe militant ne manquait jamais de parler, en écumant. Avramaki lui conseilla de modérer prudemment son langage habituel.
Gorghi, espèce de tsigane à l’abondante chevelure frisée, tout aussi grand et maigre, différait profondément de l’autre par son naturel dramatique, curieusement imprégné du plus surprenant humour. Originaire de la région pétrolifère, il avait passé son enfance les yeux ouverts sur des hommes qui sortaient des sondes en flammes et brûlaient, torches vivantes, en courant à travers la campagne. Racontant, dans sa propagande, la vie infernale de ces bagnards de l’or noir, il arrachait des larmes à l’assistance, puis, sans transition, mais avec beaucoup d’à-propos, il improvisait une anecdote qui égayait tous les visages. Il ne manqua pas d’en placer une fameuse, à ce meeting de Braïla.
Il monta à la tribune après Cristin, dont les discours étaient pleins de nébuleuses démonstrations sur la lutte des classes et d’une interprétation assez pittoresque du rôle de la machine dans l’avenir de l’humanité. Gorghi étonna les auditeurs par sa connaissance précise de la vie du débardeur braïlois, auquel il ne ménagea pas de sévères reproches pour ses mœurs abominables qui l’avaient rendu tristement fameux dans tout le pays. Le sens de sa harangue fut une charge à fond contre l’inhumain progrès de la technique moderne, dont les capitalistes seuls devaient être les bénéficiaires, au détriment des travailleurs qui en payaient la rançon avec leurs membres amputés, avec leur vie et allaient grossir l’armée des crève-la-faim.
Aussi, — dit-il tout à coup, gouailleur, — je fus stupéfait de lire ce matin dans votre presse locale, non pas des échos des souffrances qui vous attendent, vous, avec l’apparition des élévateurs, mais les lamentations des scribes à la solde des