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LA MAISON THÜRINGER[1]


Ce revirement le fit, du coup, passer d’un extrême à l’autre. Il n’eut plus d’amour pour son travail. Cet amour aussi était une servitude de larbin. Hé quoi ? Allait-il faire une carrière de son état actuel ? Se forgerait-il cette âme servile qu’il voyait à « M. Weber », à « M. Aron », ces « hauts » employés de la maison qui, au passage des patrons, ou en leur parlant, prenaient des attitudes dont on ne savait s’il fallait plus en « admirer » la visible bassesse ou l’hypocrisie dissimulée ? Ces gens-là bavaient d’envie devant la situation de leurs maîtres. Faibles et lâches, ils n’étaient corrects dans leur travail que juste ce qu’il fallait pour ne pas se faire prendre en défaut. Mais ils s’initiaient en secret dans l’art de faire du commerce avec l’étranger et, toutes les fois que cela leur était possible, volaient à leurs patrons des clients, susceptibles de travailler plus fructueusement avec les firmes louches qu’ils dirigeaient en sous-main, sous le nom d’un père, d’un frère ou d’un cousin. C’est ainsi que la maison Thüringer, peu méfiante, avait perdu une bonne partie de sa clientèle. Lorsqu’on s’apercevait de l’œuvre sournoise d’un employé malhonnête, il était trop tard. Le renvoi de celui-ci ne réparait rien.

« Pourquoi m’attacher à ces brasseurs d’affaires ? se disait Adrien. Propres ou louches, les grosses affaires se font toujours aux dépens de l’homme pauvre. Or, je suis et resterai toute ma vie celui qui n’a d’autre fortune que ses deux bras. Ce n’est pas avec des pourboires et les complets usagés dont vos

  1. Voir la Revue de Paris des 15 octobre et 1er novembre.