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construiront et exploiteront volontiers les lignes qui feront leurs frais ; et, quand viendra le moment où ces lignes feront plus que leurs frais, elles s’abstiendront soigneusement soit de réduire les tarifs, soit de construire et d’exploiter d’autres lignes qui ne feraient pas leurs frais en compensant les bénéfices des unes par les pertes des autres. Le pays paiera les transports cher et verra son réseau s’achever lentement ; c’est ce qui se passe en France.

Le raisonnement qui précède est fondé sur l’hypothèse, généralement admise en matière de questions économiques, que les intérêts privés seront à la fois égoïstes et clairvoyants. Mais cette hypothèse, nous l’avons reconnu, n’est pas absolument conforme à la réalité. Pour égoïstes, les intérêts privés le sont toujours ; mais pour clairvoyants, c’est autre chose. En voici une seconde preuve empruntée à l’histoire des chemins de fer. Il est arrivé dans certains pays, comme l’Angleterre et la Suisse, que le succès obtenu par les premières lignes établies a poussé les capitaux à se précipiter en foule et sans réflexion vers cette industrie. Des compagnies dont les actions donnaient deux ou trois fois l’intérêt normal et avaient, en conséquence, doublé ou triplé de valeur se sont surchargées d’embranchements sans fin, en ont favorisé d’autres de souscriptions et de garanties d’intérêts, et ont ainsi réduit leur propre revenu à 2 ou 3%, en faisant tomber le montant de leurs actions au-dessous du pair. Il semble donc qu’une précipitation irréfléchie de l’initiative individuelle ait eu, en somme, le même résultat qu’aurait eu une marche rationnelle dans le système de l’intervention de l’État. Mais il n’y aurait que des esprits légers et superficiels qui pourraient ainsi considérer comme une chose indifférente d’aller au même but par des moyens normaux ou par des moyens irréguliers. Dans un pays où l’État aurait procédé comme nous l’avons expliqué, il n’y aurait eu ni bénéfices ni pertes pour personne, aucun trouble, aucune crise ; et le développement des chemins de fer continuerait à se faire de jour en jour. Dans les pays dont nous venons de parler, il y a eu des bénéfices et des pertes : des bénéfices pour ceux qui ont fait les premières lignes, et des pertes pour ceux qui ont fait les dernières ; des bénéfices pour ceux qui ont vendu leurs actions quand elles étaient au-des-